Espaces d??orthodoxie urbaine? ? le cas de Stavropoléos
Anca Manolescu
 
Texte traduit par Victor Vlădulescu

*

            Si nous tenons compte de cette expérience - qui n'est pas isolée - on dirait que dans la plupart des églises de Bucarest l'Orthodoxie apparaît comme une tradition qui se survit ? elle-m?me. Le discours sur la tradition est toujours plus développé, autoritaire, rhétorique - alors que la réalité effective le contredit de plus en plus. On parle volontiers du grand art byzantin - mais l'image et le chant rel?vent, chez le fid?le moyen, d'une sous-culture pieuse, sentimentale, d'un go?t discutable. On parle volontiers de l'essence de cette tradition qu'est le liturgique, mais en pratique la liturgie se ram?ne ? un agrégat de gestes individuels et d'obsessions ritualistes. On parle également de la communauté ecclésiale, mais, ? peu pr?s dans chaque église on assiste aux conflits d'autorité et d'intér?ts qui opposent les fid?les et les pr?tres, pendant que sur tout cela r?gnent la morgue et la suffisance de la hiérarchie ecclésiale. On dirait que cette tradition n'a plus, dans les villes, ni ? professionnels ? qualifiés (pr?tres, chantres, peintres d'icônes), ni public avisé; qu'elle n'existe plus que dans les livres ou dans les musées. Or, le cas de Stavropoléos prouve le contraire. Par contraste avec l'arri?re-plan maussade et bigarré, il est l'exemple brillant - parce que singulier - d'un lieu ou la théorie et la pratique de la tradition retrouvent, d'une mani?re inattendue, leur cohérence.

Un décor ou bien un mod?le?

            Du point de vue architectonique m?me, l'espace de Stavropoléos est singulier dans le Bucarest moderne: il l'est grâce ? son élégance et ? son intimité. La gracieuse ? chapelle grecque ? - comme on appelait l'église vers 1900 - a été bâtie ? la fin du XVIIIe si?cle par un métropolite grec, Ioanichie de Stavropol (une ville de l'Asie Mineure o? en fait il n'avait jamais mis le pied) pour servir d'église ? l'auberge qu?il avait fait construire. La vie commerciale d'autrefois, débordante et bruyante, est disparue avec l'émergence de la modernité, l'enceinte s'est effondrée mais la ? chapelle ? a résisté. Elle a été la seule ? résister - ou presque la seule - parmi les autres églises et auberges qui abondaient dans le centre commercial et artisanal du Bucarest pré-moderne, situé pr?s de la Curtea Veche (la Cour Ancienne) - ? présent une ruine - et de l'église du prince Brancovan, Sfîntul Gheorghe, le centre géographique de la capitale. ? proximité, la rue Lipscani gardait jusque récemment l'atmosph?re animée du commerce oriental; apr?s 1989, elle semble définitivement tombée en désuétude, incapable de s'adapter au rythme de la ville. En dépit du fait qu'elle soit devenue rue piétonni?re et qu'on l'ait déclarée zone de patrimoine architectural, aujourd'hui la rue Lipscani ne peut qu'aligner des éventaires immondes, dignes de la périphérie d'une bourgade. Mais l'église Stavropoléos, avec la coquetterie de ses pilastres en torsade, de ses peintures et de ses décorations ciselées comme un joyau, subsiste - plus frappante encore, parce qu'elle est le seul vestige parfaitement conservé de l'ancien Bucarest. Depuis la fin du XIXe si?cle, tout autour, la ville nouvelle a commencé ? chercher son identité: des immeubles imposants, respectables, d'une dignité bourgeoise, bâtis dans un style néoclassique ou ? éclectique ?, des immeubles de la haute finance en particulier: des banques, la Bourse, la Caisse d'épargne, la Poste centrale. Au début de notre si?cle, attiré par l'élégance de Stavropoléos, Ion Mincu - le chef de l'école néoroumaine d'architecture - a fait reconstruire la tour et bâtir une nouvelle enceinte, en s'inspirant des accents décoratifs de l'église: enceinte en quelque sorte monastique cette fois-ci. Jusqu'en 1989, l'église Stavropoléos était cependant connue plutôt comme monument historique; c'était l'une des images qui rappelaient ? la ville sa grâce et son charme pré-modernes. Mais elle n'était pas perçue comme un espace ecclésial particulier (d'ailleurs, le culte y avait été célébré avec intermittences), mais comme un espace de l'art sacré et de sa tradition byzantine qui s'était prolongée dans les Pays Roumains en un ? Byzance apr?s Byzance ?.

 <<  8  9  10  11  12  13  14  15  16  17  >>
 
 
 

 
Martor nr 1/1996
Martor nr 2/1997
Martor nr 3/1998
Martor nr 4/1999
Martor nr 5/2000
Martor nr 6/2001
Martor nr 7/2002
Martor nr 8-9/2003-2004
Martor nr 10/2005
Martor nr 11/2006
Martor nr 12/2007
 

© 2003 Aspera Pro Edu Foundation. Toate drepturile rezervate. Termeni de confidentialitate. Conditii de utilizare