Les Roumains et le Mont Athos - Le mont
André Scrima
 
Traduit du roumain par Constantin ZAHARIA

André Scrima : En effet, ce sont des visages de moines vivants, simples, quotidiens, qui nous donnent l?image d?une pauvreté propre, rigoureuse, nullement miséreuse. (Permettez-moi de rappeler un mot pénétrant, prononcé par Péguy : ? La pauvreté ennoblit, la mis?re avilit ?.) Il n?y a pas de mis?re ? Athos, mais une pauvreté instituée en vertu d?une vérité perpétuelle de vie et d?aspiration ? transcendante ?. Ce n?est pas la pauvreté issue des manques, de l?indigence, des besoins : elle est l?expression d?une sorte de renoncement victorieux. Leurs soutanes usées jusqu?? la trame sugg?rent le sens du v?tement monacal. Evidemment, personne au monde ne peut éluder l?obligation unanime du v?tement qui doit envelopper le corps. (Dans les Apophtegmata Patrum[iii], le v?tement est associé ? la nourriture et ? la boisson, comme fondements de la condition humaine.) Mais il nous parle de l?ultime simplicité, qui préc?de le dernier dépouillement. Dans l?étape finale, le v?tement devient, pour le moine, linceul ? ? l?instar des bandes textiles qui enveloppaient les momies égyptiennes ou Lazaire sortant de son tombeau. Selon la tradition orientale, le moine n?est pas enterré dans un cercueil, mais dans son v?tement qui, d?s son vivant, a une finalité transcendante. Avant ce dernier moment, le v?tement est assumé selon la condition unanime, mais sous sa forme la plus dépouillée, la plus proche de la limite : comme expression du renoncement. Ce qui suit apr?s c?est le renoncement - m?me au v?tement qui est signe du renoncement. Tel le Christ sur la croix, lorsque sa chemise, taillée d?une pi?ce, fut tirée au sort. Il était dépouillé de la possibilité m?me de protester contre la dépossession. Son v?tement ne lui appartenait plus ; il était devenu une res nullis, une propriété ? personne.

Je ne sais pas si M. Paléologue a construit délibérément cette séquence, mais ces images de pauvreté s?associent toutes, de mani?re évidente, ? une activité manuelle, au travail et cela constitue un des plus profonds et des plus primordiaux signes de la condition humaine : d??tre un homme qui travaille. Au début du si?cle, lorsque l?Occident traversait une époque d?épreuve et d?interrogation sur la situation concr?te de l?esprit en tant qu?acteur de la connaissance et en tant qu?esprit actif (questions si caractéristiques pour l?Occident), le probl?me du réel faisait l?objet de préoccupations en physique, en philosophie et aussi en psychanalyse. Freud lança alors le terme de Realiätsprinzip, qui avait une signification pénétrante. Si le ? réel ? devient un probl?me, cela signifie qu?il chancelle quelque part, que son image et son sens sont perturbés. Aussi les psychanalystes insistent-ils en affirmant que pour l?homme contemporain la seule mani?re d?adhésion au réel c?est le travail : un travail qui parvienne ? définir l??tre individuel (et collectif), autrement menacé de dissolution. Les familiers de la tradition orientale se rappelleront l?archétype du moine, la figure prodigieuse d?Antoine le Grand. Les Apophtegmes ? textes admirablement traduits en roumain - commencent avec lui. D?s le début on nous présente saint Antoine en état d?acédie : une sorte de go?t du néant, un envahissement subtil, corrosif, insidieux et imperceptible en tant que tel de notre ? inanité ? qui peut mener au désespoir et/ou ? l?(auto)destruction. Antoine le ressent et, en priant Dieu, voit quelqu?un ? son alter ego ? qui, alternativement, priait et tressait des cordes en fibres de palmier, en s?adonnant au travail des mains. La réponse efficace serait par conséquent une synérgie entre la pri?re et l?action, cet engagement immédiat en faveur du réel, que seulement le fait d??tre actif par la participation du corps puisse assurer. Antoine devint alors serein : nous avons l? d?une certaine mani?re, la structure secr?te, mais simple, de la vie monacale. De mani?re plus subtile que dans le Realiätsprinzip, l?action immédiate convoque et int?gre l?élément de la pri?re : travaille et prie. Le travail lui-m?me est sauvé et exalté par cette alternance. La pri?re elle-m?me est fixée et soutenue par l?acte corporel. Benoît de Nursie, patron reconnu de la civilisation d?Occident, a repris cette solution de la tradition vivante dans la devise de son ordre : ora et labora. Elle a été adoptée en Occident avec profit selon l?espace et l?histoire en train de s?instaurer, mais son origine reste toujours l?état monacal premier, primordial, celui du désert.

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