Pourquoi doit-on sauver les Balkans?
Andrei Pleşu
 

Tout d'abord, la ville balkanique représente, plus que d'autres types de ville, une combinaison formidable, une "recette" haute en couleurs dans laquelle entrent des éléments orientaux, occidentaux, des surprises de tout genre; la ville balkanique a une apparence beaucoup plus cosmopolite au fond que d'autres types de villes, proprement européennes. Ensuite, la ville  balkanique fait valoir, plus que la ville occidentale, je dirais, une ruralité originaire. La relation entre le village et la ville dans les Balkans est d'un autre type que dans l'Occident. Rappelons aussi le relief spécial que détient le th?me du faubourg dans la ville balkanique: ce qui entoure le centre de la ville sans signifier forcément une dégradation, parce qu'il y a un ordre du faubourg traditionnel; il a sa propre éthique, ses coutumes, sa convivialité, et par la suite crée une sorte de micro-climat, presque une culture spécifique. Ce sont l? des phénom?nes que l'on rencontre plus rarement dans les espaces civilisés au sens occidental du terme. (D'autre part, il existe pourtant un certain complexe d'infériorité de la ville balkanique, qui fait qu'elle se rapporte toujours ? un centre qui est extérieur ? son aire propre. Bucarest se fait appeler le ?petit Paris?, Timişoara se fait appeler ?petit Viennes?; on sent toujours ici le besoin de l'intégration ? un centre institué comme rep?re et qui se trouve toujours ? l'extérieur.)

            Il y a ensuite des habitudes balkaniques qui mériteraient peut-?tre une analyse pour elles-m?mes. L'on pourrait parler, par exemple, de l'institution du "chef" (prononcé kief)[ii], d'un certain type de taverne et de café, l'on pourrait parler des rythmes d'une ville balkanique Ensuite, d'une cuisine spécifique, d'autant plus que ce type de cuisine constitue un élément de cohésion dans les Balkans; dans une région si tendue, o? les identités entrent un conflit, o? il y a une sorte d'hystérie de l'identité, il faut justement rendre saillants les éléments qui unifient, qui sont communs. Eh bien, la cuisine représente, je dirais, une culture oecuménique dans les Balkans; tout comme la musique. Je me rappelle un épisode qui mérite d'?tre raconté. J'ai eu, ? un moment donné, une réunion avec les ministres des affaires étrang?res des Balkans, dont l?hôte était l'un d'entre nous. Il y a des organisations régionales qui supposent que les ministres des affaires étrang?res se rencontrent pour débattre de questions spécifiques ? la région balkanique Pour le dîner, l'hôte a jugé élégant de prier un orchestre de jouer ? tour de rôle des mélodies de chaque pays participant. Et, bien s?r, chaque ministre des affaires étrang?res, lorsqu'il entendait la musique de sa nation, faisait comprendre, par les signes nécessaires, qu'il l'avait reconnue et montrait sa participation chaleureuse ? l'embl?me sonore de son pays. Vint un moment o? celui qui avait identifié et d?ment réagi fut le ministre des affaires étrang?res albanais; tr?s satisfait d'avoir l'occasion de faire voir la beauté de la musique albanaise, il s'est levé et s'est mis presque ? danser. Une minute apr?s il s'est arr?té et s'est écrié: ?Mon Dieu! Mais c'est serbe!? Ce qui nous a donné ? tous, empiriquement, la sensation que, de m?me que nous mangions quelque chose qui n'appartenait ? personne de façon exclusive, mais que chacun revendiquait, de m?me nous écoutions des choses qui nous unifiaient jusqu'? la confusion. Accentuer sur ce qui unifie ce monde, plus que sur les prétextes de séparation, serait, je crois, une politique tr?s utile.

 <<  1  2  3  4  5  6  7  >>
 
 
 

 
Martor nr 1/1996
Martor nr 2/1997
Martor nr 3/1998
Martor nr 4/1999
Martor nr 5/2000
Martor nr 6/2001
Martor nr 7/2002
Martor nr 8-9/2003-2004
Martor nr 10/2005
Martor nr 11/2006
Martor nr 12/2007
 

© 2003 Aspera Pro Edu Foundation. Toate drepturile rezervate. Termeni de confidentialitate. Conditii de utilizare