Des musées d?ethnographie italiens entre mission et professionnalisation
Cristina Papa
 

La théorie de Gramsci était profondément innovatrice, non seulement par rapport au "positivisme documentaire" et ? son objectivisation du folklore mais aussi par rapport ? l'historicisme idéaliste de Croce qui avait occulté la relation entre faits économiques et sociaux d?une part et faits culturels d?autre part, niant ainsi l'importance culturelle de champs entiers de la vie et de la connaissance.

A ce changement de climat politique et intellectuel correspond une nouvelle phase de la muséographie anthropologique explosant dans les années 70 et valorisant les aspects de la vie des classes populaires liés au travail et ? ses outils, ? la vie quotidienne. Les phénom?nes d?urbanisation, l?exode rural et l?abandon de l?agriculture, la désagrégation des modes de vie, des techniques, des savoirs, servent de toile de fond  ? un intér?t social croissant pour les classes populaires en général et pour des aspects traditionnellement ignorés : le travail, les outils, les techniques de travail. Les sollicitations dans ce sens proviennent essentiellement de l?extérieur du monde académique, et plus généralement des spécialistes. De nombreuses initiatives promouvant la collecte d?objets, les expositions temporaires ou permanentes sont mises en ?uvre dans les différentes régions italiennes par des groupes formés d?intervenants divers, de jeunes, d?enseignants et d?étudiants, par des associations spontanées qui se constituent essentiellement dans ce but. Dans un premier temps le monde académique et institutionnel se montre peu réceptif, aussi parce que ces activités ne sont pas toujours et pas seulement ? caract?re pédagogique et scientifique, mais qu?elles sont liées ? des événements ? coloration politique ou festive : entre autres, f?tes de partis politiques, f?tes de village, kermesses, f?tes du saint patron de la ville.

Cette muséographie d? ? en bas ? était animée par des élans et des visées différents, mais qui trouvaient des points de convergence dans l?exaltation de l? ? altérité ? du ? monde paysan ?, comme on disait ? l?époque. De l?inspiration nostalgique de vieux paysans dont l?exode rural avait profondément modifié les points de rep?re et qui, avec la muséalisation des objets et des outils de leur vie quotidienne, voyaient des biens devenir patrimoine, et ainsi perdre leur valeur d?usage comme leur valeur d?échange, ? l?inspiration critique et contestataire de jeunes et d?intellectuels qui, par la muséalisation des symboles du monde paysan, donnaient une consistance ? leur critique des modes de vie capitalistes, il s?agissait d?une muséographie non pas innocente ou inconsciente d'elle m?me, mais bien inspirée par des politiques et des poétiques bien précises. Actuellement, trente ans plus tard, cette muséographie d?en bas, coupée des interventions de l?Etat qui dans ce domaine reste totalement absent, et organisée de façon indépendante du monde académique, est encore vivace, mais elle est animée par des instances institutionnelles et sociales beaucoup plus complexes qu?au cours des décennies précédentes.

L?un des traits marquants de ces nouveaux musées ethnographiques, c?est que plutôt que de chercher ? évoquer un monde sous ses multiples facettes, ils tendent ? se focaliser sur un seul th?me, que ce soit un métier, comme celui de mineur[6], un environnement spécifique, comme les bois et for?ts,[7] une production locale comme l?huile,[8] un phénom?ne historique comme le brigandage,[9] ou social comme l?émigration[10], pour ne donner quelques exemples parmi tant d'autres. De cette façon, on tend ? mettre en évidence un caract?re du territoire dont on prétend qu?il est unique et spécifique et dont le musée sert ? élaborer publiquement la mémoire. Par l?, on en favorisera la jouissance, la mise en valeur et en m?me temps la promotion touristique. Mais le musée thématique semble aussi le plus indiqué pour faire converger l?attention des institutions locales et des forces économiques et ainsi intercepter des financements dégagés par des Fondations bancaires et par les programmes européens de développement local. Il s'agit donc d'un musée pleinement intégré dans un contexte territorial et qui joue aussi un rôle économique dans le cadre de ce que l?on a qualifié de ? marketing postmoderne du patrimoine ?[11]. Mis ? part les musées d'entreprise, c'est-?-dire ceux créés par une entreprise pour promouvoir ses produits, du vin ? l'huile, au chocolat et ? la réglisse, les musées thématiques gérés par une administration locale visent eux aussi ? promouvoir une image du territoire et de ses produits.

[6]Musée provincial des mines ? Racines (Bolzano)

[7]Musée ethnographique des bois d'  Orgia ?  Sovicille (Sienne)

[8]Musée de la civilisation de l'olivier ? Trevi (Pérouse)

[9]Musée du brigangade ? Itri (Latina)

[10]Musée de l'émigration ? Gualdo Tadino (Pérouse)

[11]? ce sujet  voir  Harris, 1990: Walsh, 1992; Harvey ,1989: Clifford, 1997.

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