L?Objet -univers
Şerban Anghelescu
 

L?assomption des objets

            Dans la m?me culture payssane, l?obligation du corps de soutenir l?objet, de conclure avec celui-ci une alliance temporaire ou permanente peut ?tre considérée comme une servitude. Dans le village de Sîrbi (Maramureş), un charpentier m?a raconté une histoire, anodine ? premi?re vue, qu?il appelait ,, une blague de charpentier?? (1) . Jadis,  ? une époque indéterminée, la femme d?un charpentier devait fixer avec son propre corps la grosse poutre qu?équarrissait son mari. La femme se tenait ? cheval sur la poutre et, presque par jeu, demanda ? son mari de  fabriquer, d?apr?s le mod?le des copeaux qui tombaient  sur le sol, un objet qui immobilisât la poutre. Son mari l?écouta et fabriqua, en fer, le premier crochet. Dans cette histoire de l?origine du crochet, l?objet lib?re le corps, le sort de jeu. M?me si, en premi?re instance, le nouvel objet représente une posture corporelle, ? savoir l?arc des jambes qui fixaient la poutre, une rupture fondamentale se produit entre le corps et l?objet. Dans le nouveau régime qui s?instaure,  l?objet et le corps deviennent autonomes.

            Le berger de la Mioriţa organise sa cérémonie fun?bre ? partir des v?tements et des outils qui entourent son corps comme autant de prolongements de sa peau, de sa bouche et de son souffle (la fl?te), de ses bras (la lance) (2). Le berger ,,construit?? sa mort avec ses objets familiers, placés ? proximité. Ce qui, normalement, a servi ? la vie quotidienne, sera également bon pour la mort . A premi?re vue, nous avons affaire ? un lieu commun lyrique, pour reprendre l?expression de Constantin Brăiloiu (1981). Le jeune homme, mort dans la solitude, qu?il soit berger ou soldat sur le champ de bataille, veut que les objets qui se trouvent autour de lui fonctionnent comme autant de substituts des accessoires fun?bres, ou se sert du soleil en guise de chandelle, des rayons de lune en guise de linceul etc. Distinguons, tout d?abord, entre la condition des objets et celle des éléments cosmiques, et surtout n?oublions pas que la substitution n?annule, comme on le croit souvent, aucun des termes de la relation, mais institue, au contraire, un nouveau champ de significations pour chaque terme. Le berger, par exemple, demande ? ses assasins présumés de placer ? son chevet, apr?s sa mort, une fl?te au lieu d?une croix. La position éminente, ,,capitale?? de la fl?te peut s?expliquer par son association avec la bouche, avec le souffle, surtout avec le souffle du vent. La fl?te, encore vivante apr?s la mort de son maître, est confiée au vent et entre ainsi, ne serait-ce qu?en partie, dans un domaine plus puissant que le domaine humain. Le mouvement du vent est proche de l?esprit, conçu comme souffle. Ceci constituerait une possible affinité entre la fl?te et la croix. Je ne crois pas qu?il faille entreprendre de laborieuses recherches ethnographiques pour découvrir des modalités et des inventaires funéraires aptes ? justifier le comportement cérémoniel étrange du berger. Dans la version noël de la Mioriţa , plusieurs variantes transylvaines contiennent les paroles par lesquelles le berger demande qu?on ne le couvre pas de terre, mais de son ,,saint petit capuchon??. Il serait absurde de chercher des indices de rites funéraires pastoraux qui impliquent l?exposition du cadavre et, plus encore, la consécration du capuchon. Le capuchon peut recevoir l?épith?te de ,,saint?? en sa qualité de couvre-chef fun?bre, parce que ? peu pr?s tout ce qui tient ? la contiguité avec le cadavre tombe sous le coup du sacré. D?autre part, un objet apte ? servir également pendant la vie et dans la mort doit avoir, sans nul doute, de tr?s haute vertus en raison justement de sa double fonction. Toujours en Transylvanie, les textes des noëls qui s?inspirent du texte de la Mioriţa mentionnent un fait assez singulier : le remplacement du cercueil par le buccin ou par la fl?te du berger mort. L?impossibilité physique de cet acte est évidente. L?enterrement dans la fl?te doit avoir un sens symbolique . Si on ne se laisse pas glisser sur la pente des orphismes douteux, je crois que sa signification est ? chercher du côté de la concentration maximale, du repli sur soi, de l?autonomie. En plus, l?enfermement dans la fl?te est, par la nature m?me de cet instrument, un enfermement ,,ouvert??. Les chants fun?bres du département de Gorj évoquent les sept petites ouvertures pratiquées dans le cercueil pour permettre au défunt de communiquer avec le monde d?en haut, le monde des vivants.

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