L?homme de Marrakech

?Faire sa valise? est un acte plein de sens. Ne s?agit-il pas, en effet, de décider de ce qui est ?? prendre ou ? laisser?, de classer les objets entre les deux catégories de l?essentiel et de l?accessoire? Pour ma part, chaque fois que je me trouve confrontée ? une telle épreuve, me revient en mémoire la petite histoire que voici.

La sc?ne se passe dans le train qui me ram?ne de Paris ? Bruxelles. En face de moi, un vieil homme sommeille. Il est v?tu d?une djellaba; il vient de loin. Le billet qu?il tend au contrôleur indique comme point de départ de son voyage, Marrakech.

Marrakech; un monde de rumeurs et d?odeurs surgit aussitôt: la place Jâmaa el Fna; les fl?tes des charmeurs de serpents; le boniment des arracheurs de dents; la voix modulée des conteurs, les tambours des Gnawa(1); tout cela traversé d?effluves épicées, de menthe et de fleur d?oranger... un autre monde, une autre culture, presqu?? la porte du désert, ? la charni?re du monde arabe et de l?Afrique noire... D?autres sons, d?autres senteurs, d?autres saveurs, d?autres objets. Luxe et opulence des palais mais aussi dénuement de ces ksars, villages de terre qui semblent vouloir se confondre avec le paysage dont ils émergent ? peine.

Il me souvient alors du dénuement de cette casbah o? nous entraîna un vendeur occasionnel en qu?te du touriste acquéreur de ses quelques objets artisanaux. L?homme était de ce village situé en contre-bas de la route qui m?ne vers le Haut-Atlas; nous f?mes conviés ? la cérémonie du thé: notre hôte, apr?s nous avoir fait asseoir sur des coussins disposés autour d?une petite table ronde et basse de facture moderne, se mit en demeure de faire chauffer une bouilloire en aluminium sur un bec de gaz posé ?-m?me la bonbonne, qu?il alluma ? l?aide d?un allume-gaz; puis, muni d?un morceau de métal apparemment quelconque, il se mit ? prélever quelques fragments du gros bloc de sucre contenu dans un seau en plastic rose; il versa ensuite l?eau bouillante dans un second récipient en aluminium faisant office de théi?re, puis, du geste ample et précis qui sied ? cette circonstance, il remplit chaque verre du breuvage fleurant bon la menthe fraîche, et nous invita ? y mettre les l?vres.

Si j?ajoute aux objets qui apparaissent dans cette description, le tapis sur lequel s?assit le maître des lieux (un tissage tr?s certainement domestique bien que de facture plutôt moderne), je pense avoir dressé la liste compl?te de ce qui meublait cette chambre.