Petre Popovăţ : Je ne puis oublier les interminables files d'attente devant les magasins alimentaires dans les années cinquante, files dans lesquelles, tout enfant, j'était moi aussi obligé de prendre place. Je ne puis oublier les v?tements que l'on portait. C'était en pleine période des lodens ? sorte de manteaux poilus, de qualité acceptable, mais teint uniquement en marron et en vert, et qui étaient tout ce qu'on pouvait acheter, si bien que les passants s'en trouvaient uniformisés. J'ai vécu aussi la période des cartes de rationnement. Il y en avait de plusieurs types, différenciés par des couleurs, selon l'origine et l'occupation du possesseur : les rouges, des ouvriers, les orange, des petits employés et des retraités, enfin les vertes, des petits artisans privés, tant qu'il en existait encore. Les anciens ?exploiteurs? n'en recevaient pas et étaient obligés d'acheter sur le ?marché libre?, c'est-?-dire en payant beaucoup plus, alors qu'ils n'avaient en réalité aucun moyen de subsistance que de vendre pour une bouchée de pain les objets de valeur qu'on ne leur avait pas confisqués. Les cartes concernaient la totalité des biens mis en vente dans les magasins d'Etat. Chaque carte comportait des tickets et, par exemple, pour un pain qui co?tait 2 lei, on donnait un ticket de carte rouge, deux tickets de carte orange et trois ou quatre tickets de carte verte. Autrement dit, l'heureux possesseur d'une carte rouge pouvait s'acheter, pour la m?me somme d'argent, plus de produits que celui qui avait une carte d'une autre couleur. Ce genre de commerce s'appelait ?aux points?. Une veste, par exemple, co?tait (en sus de l'argent) 80 points, que l'on cumulait en 10 ? 15 tickets rouges ou en 30 ? 40 tickets orange. Il existait m?me une chanson (la mélodie était plagiée sur une mélodie américaine ; il paraît qu'il y a eu m?me un petit scandale ? ce propos), qui commençait par : ?La robe ? pois, aux points, que j'ai tant désirée,/ Avec mes petites épargnes, je me la suis achetée...?. Pour les v?tements, il y avait un vrai probl?me, parce que tous les Roumains étaient v?tus uniformément, en des couleurs presque sombres (en tout cas, peu gaies), ce qui me terrifiait, moi. Comme je suis naturellement sensible ? l'image extérieure, j'ai souffert pendant toute mon adolescence du manque de v?tements élégants. J'ai toujours désiré avoir de beaux v?tements, que je commençais ? voir dans les revues étrang?res qui apparaissaient, timidement, chez nous. L'obsession de mon adolescence a été, par exemple, d'avoir une paire de chaussures ?étrang?res?, parce que, d?s qu'un jeune avait de pareilles chaussures (tr?s différentes des horreurs que l'on fabriquait chez nous), toutes les filles étaient littéralement fascinées. Malgré la pauvreté, voire la misčre, nous autres, jeunes de 16 ŕ 17 ans, nous trouvions moyen de nous amuser. Nous organisions des ?thés? (abréviation du ?thé dansant? de jadis) : chaque samedi, nous trouvions un hôte qui disposait d'un espace plus large. Şerban Anghelescu: Le terme ?thé? a, depuis, disparu. Petre Popovăţ : D?s ma jeunesse, on avait commencé ? l'appeler ba?ram (?boum?) ; plus tard, quand nous étions plus vieux, cela s'appelait ?partie?. Şerban Anghelescu : ?F?te? (chef en roumain), peut‑?tre ? |