Petre Popovăţ : La f?te, c'était du temps de nos parents, qui se réunissaient par familles, restaient, d'habitude, assis autour d'une table, o? ils mangeaient, ils buvaient et s'entretenaient avec animation. On trouvait donc une maison assez spacieuse, chez quelqu'un dont les parents étaient aimables et acceptaient de s'en aller pour nous laisser, nous jeunes, festoyer ? notre guise. Les filles apportaient ? manger et les garçons, ? boire. Je me souviens des mémorables thés chez Andrei Milcu, fils du président de l'Académie et petit‑fils du cél?bre médecin C. I. Parhon (le premier président du pays sous le régime communiste, qui ? ses débuts essayait de se légitimer en promouvant les intellectuels n. éd.). Lui, le jeune, était tr?s sympathique, viveur et hospitalier. Les filles apportaient donc l'inévitable pâté en boîte et le parizer (esp?ce de mortadelle n. tr.). Avant que la f?te ne commence, les filles, dans la cuisine, préparaient des tartines. Nous, les garçons, apportions chacun du vin directement tiré au tonneau, ? 6 lei le litre, que nous versions dans une énorme casserole. Tu imagines ce que donnait ce mélange de vins de mauvaise qualité... On dansait et, ? un moment donné, Andrei, qui était le maître de cérémonie, s'écriait : ?Et maintenant, la boisson !? On s'alignait tous et lui, armé d'une louche, versait un seul verre ? chacun d'entre nous, apr?s quoi la musique et la danse reprenaient et duraient jusqu'au moment que lui choisissait, o? l'on s'arr?tait pour boire un verre. Evidemment, l'intervalle entre les pauses s'amenuisait ? mesure que nous nous échauffions et que, comme nous transpirions, la soif se faisait de plus en plus pressante. Şerban Anghelescu : C'était donc une esp?ce de punch... Petre Popovăţ : Oui, on mettait aussi un peu de sucre, pour atténuer l'acidité ou le go?t de tannin du vin bon marché, ce qui avait des conséquences assez désagréables... On dansait. Sur quelle musique ? Dans la Roumanie des années cinquante, la radio, unique source de musique, transmettait de la musique lég?re ou de la musique de danse roumaine, soviétique ou des pays de démocratie populaire. Les premi?res mélodies occidentales furent celles d'Yves Montand qui, ? l'époque, était un important militant du P.C.F. ; il y en avait aussi d'autres, m?me des américaines, que l'on diffusait sous le masque de ?chansons de lutte des Noirs des U.S.A.?. Mais la premi?re mélodie américaine moderne a été celle qu'interprétait Rosemary Clooney : ?Mambo Italiano?. On n'en croyait pas ses oreilles et on a longtemps commenté cet événement. Les petites parties que nous avons initiées ? peine sortis de notre enfance, avaient comme toile de fond la musique que diffusait un vieux tourne-disques ? 78 tours ; c'étaient des mélodies de l'entre-deux-guerres, du genre ?Rumba Negra?. Toi, tu n'as pas connu les magnétophones ?Pristavka?, de production soviétique. Je ne me rappelle plus si la bande magnétique n'était pas en fil de fer, en tout cas, l'appareil n'avait pas de moteur propre et devait ?tre attaché ? un pick-up. L'heureux possesseur d'un ?Pristavka? était invité ? tous les thés, parce que c'était lui qui assurait la musique. Plus tard apparurent les magnétophones portables ?Geloso?, italiens, aux bobines tr?s petites et, enfin, les plus performants (mais aussi les plus chers, presque prohibitifs), ?Smaragd?, fabriqués en R.D.A. |