Dorel Zoica est peintre et professeur de dessin. Ses amis l?appellent Dodo. J?ai consigné ses histoires de vie sans avoir le sentiment de sauver de l?oubli des témoignages importants. Ces anecdotes sont plutôt des exemples révélateurs pour la vie d?un intellectuel ? Bucarest pendant la seconde moitié du XXe si?cle. Le professeur Zoica n?est certainement pas un intellectuel comme les autres. Il est tout ? fait spécial, comme beaucoup d?autres personnes remarquables qui vivent parmi nous. La plupart sont modestes et discr?tes. Si modestes et discr?tes qu?elles se fâchent lorsque l?on essaie de leur parler de leurs qualités. Par exemple, je n?ai pas réussi ? convaincre Dorel Zoica qu?il a été un véritable résistant dans les années soixante-dix, quatre-vingt. Lorsque j?ai prononcé le mot résistance il a exclamé ? mon Dieu, n?écrivez pas cela, ce serait une b?tise ?. Comment aurais-je pu l?indisposer en insistant ? ! On a beaucoup écrit et parlé de la résistance des roumains par la culture durant la période communiste. En ce qui me concerne, je reprendrai volontiers l?idée de la barricade représentée par la Biblioth?que de l?Académie. Plus un locuteur est subtil, plus il nuance. Certains parlent actuellement de survie par la culture. Récemment j?ai entendu le syntagme persistance par la culture. Quel que soit le nom, jusqu?? présent nul n?a esquissé une typologie des gestes susceptibles d?exprimer une résistance. Je suppose qu?une telle typologie devrait nécessairement contenir les manifestations dictées moins par un courage exceptionnel, que par l?incapacité de certains de fonctionner selon les r?gles des institutions communistes. Le professeur Zoica fait partie de cette deuxi?me catégorie. Il faudrait dire au passage qu?il rit volontiers et que le rire était l?un des ennemis déclarés du communisme. Le syntagme ? il n?y a rien de drôle, camarade ?, m?a souvent fait frémir. Je l?ai connu il y a quelques mois, mais cela fait une vingtaine d?années que j?entends parler de son Atelier de créativité artistique. Pour les enfants de Bucarest, son atelier a représenté la seule possibilité d?éducation artistique s?opposant au programme de formation de l?homme de type nouveau connu sous le nom du ? Chant pour la Roumanie ?. Il y a eu des milliers de professeurs qui donnaient des cours de français, d?anglais et d?allemand, des dizaines de professeurs de musique, un petit nombre de professeurs de danse, un nombre encore plus réduit de professeurs de dessin parmi lesquels Zoica n?a pas de pareil ? travers les expériences de créativité qu?il menait. Ce qui me semble le plus précieux de ces expériences est le fait qu?elles entretenaient le go?t de la liberté. En envoyant leurs enfants ? l?atelier de Zoica, de nombreux parents avaient l?impression de participer ? un geste subversif. Toutefois, la plupart d?entre eux emmenaient leurs enfants l?-bas comme dans une clairi?re. Car une chose est s?re, Dodo a la vocation de la clairi?re qu?il refait, ou qu?il aille, autour de lui. |