En 1852, un voyageur pose ses valises ? Bucarest. Il ne sait pas encore qu'il vient de quitter Paris pour toujours. Son nom: Ulysse de Marsillac. Il mourra ici une vingtaine d'années plus tard, sans avoir revu "le doux pays de son enfance". Ce simple énoncé biographique suffit ? susciter notre curiosité. Et nous nous demandons ce qui a bien pu commander ? cet homme de renoncer ? la "ville lumi?re", pour un bourg de province situé "aux portes de l'Orient", en ces terres lointaines. A cette époque, tandis que Paris fascine encore le monde de tout son éclat culturel, Bucarest se dégage lentement de son gros cocon de marché oriental pour accueillir un vent venu de l'Occident, qui ram?ne "en frac" des "Bonjouristes" et autres intellectuels nourris de r?ves d'indépendance. La future capitale du nouvel "Etat nation" (ou plutôt, "nation Etat") se construit un nouveau visage. Pourtant, ce "petit Paris" en pleine expansion, n'a gu?re d'atouts pour séduire: en toile de fond, pas de cadre grandiose ni m?me charmant; plutôt une "morne plaine" ponctuée d'une série de lacs encore paludiques ? cette époque. Pas de fleuve non plus, qui puisse offrir l'animation d'un port ou les berges accueillantes aux flâneries des promeneurs; une histoire plutôt courte qui n'a gu?re laissé de traces monumentales ? m?mes de conférer "un peu d'âme" ? la ville. Bucarest est somme toute ce "favori sans mérite"(2) qui , pourtant, retient en son sein l'écrivain-voyageur qui reconnaît lui-m?me: "Je constate qu'il était ? peu pr?s impossible de choisir un endroit aussi peu indiqué pour construire une grande ville. Les rives du Danube ou les contreforts des montagnes, voil? le lieu que l'art, la politique et le commerce auraient d? désigner pour capitale de ce pays" (p. 74). Pourquoi donc un tel "favoritisme"? Ulysse de Marsillac tente lui-m?me de s'en expliquer. Mais peut-on expliquer ou simplement comprendre les sentiments de bien ou de mal ?tre que vous procure un lieu o? l'on a un moment posé ses valises? Tentons, nous aussi, de percer le myst?re d'une telle attraction ? travers les propres interrogations de notre auteur. Le repérage d'un "manque" Dans ses "notes de voyages", parues en 1869, de Marsillac écrit: "L'un de mes amis, véritable parisien de corps et d'âme, apr?s avoir habité six ans ? Bucarest, m'écrivait de Paris o? il s'en était retourné: "J'ai la nostalgie de votre Valachie et, sur les quais de la Seine, je r?ve des quais boueux de la Dâmbovitsa". |