Spiridon
Irina Nicolau
 
Traduction de Elena Soare

 Il y avait jadis, ? Brăila, des Grecs venus de tout le pays: de Galaţi, de Calafat, de Sulina, de Constanţa. Mais non seulement de tout le pays, que dis-je, il y en avait qui venaient de toute la presqu'île des Balkans, ? quoi l'on doit ajouter Constantinople. Certains d'entre eux étaient simplement de passage, mais d'autres y restaient. Et ma foi, il y a eu un va-et-vient extraordinaire jusqu'au début des années '50, lorsque l'horreur du communisme a envoyé les Grecs chez eux, dans la patrida. Je ne sais ce qu'aurait fait mon grand-p?re, Spiridon Patrichios, capitaine de navire céphalonite, parce qu'il était déj? mort depuis neuf ans, il ne pouvait plus faire son choix.

            Lorsque mes parents sont partis pour la Gr?ce, je venais d'avoir quatre ans. Ils sont tous partis: l'arri?re grand-m?re, la grand-m?re, la s?ur de ma m?re avec son mari et trois tantes avec deux oncles et deux cousines. Ma m?re a choisi de rester sur place. Et ce fut un bon choix!

            Je me rappelle avec une précision inexplicable la mani?re dont ils faisaient leurs bagages. Je dirais maintenant, avec mon raisonnement d'adulte, que j'ai assisté ? un rite de passage, o? les préparations de départ et les bagages correspondaient au moment de la rupture. Parmi toutes les affaires amassées le long de toute une vie, on leur permettait d'emporter cinquante kilos, des alliances et une seule bague. Tout devait ?tre entassé dans des caisses spéciales, fabriquées dans des ateliers autorisés, qui garantissaient que les Grecs malins n'avaient pas inventé des parois doubles ou autre genre de cachettes. Ce r?glement était la conséquence du fait que, aux environs de '48, '49, lorsque les rapatriés avaient le droit d'emporter un lit, une table et je ne sais quoi encore, d?s que quelqu'un arrivait en Gr?ce, il se mettait ? envoyer des lettres du genre, cher Takis, nous avons réussi ? passer ? la douane le fer ? repasser bourré de bijoux et ces gogos n'ont pas découvert l'or caché dans le pied de  la chaise. "Les gogos" ne restaient pas sans rien faire eux non plus, ils lisaient les lettres ? la sauvette et, peu de temps apr?s, ils ont imposé les caisses spéciales dont je vous parlais. Autrement dit, c'est fini, les Grecs qui se sont enrichis ? nos frais, qu'ils rentrent chez eux avec ce qu'ils ont dans leurs caisses et sur leur dos.

            Ce "sur leur dos" n'était pas sans prendre parfois des formes tout ? fait grotesques. Inoubliable ? tout jamais fut dans notre famille l'histoire de la femme de l'oncle Trasibul de Santorini, une blonde bien en chair, avec un sacré culot, qui est montée sur le bateau fagotée d'une mani?re qui a laissé les douaniers bouche bée. C'était ni plus ni moins qu'un tas de nippes: quatre combinaisons, je ne sais combien de culottes, trois blouses, trois jupes, quatre pull-overs tricotés... Qu'est-ce que c'est que cela, madame, aurait demandé l'employée de la douane qui était responsable du contrôle corporel? Je me suis bien habillée, pour ne pas prendre froid sur le pont, a répondu tante Marica. Inutile de préciser que le départ avait lieu en plein été.

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