Athos: un lieu contrariant
Horia Bernea
 
Traduit du roumain par Constantin ZAHARIA. Texte publié en roumain dans la revue Dilema, n° 375, du 21-27 avril 2000.

Apr?s le déjeuner, les moines allaient dans leur cellule pour prier, dormir ou faire la lecture, je ne sais pas exactement ce qu?ils pouvaient faire, de toute façon ils disparaissaient tous. Dans la semaine certains vont dans les ateliers, tr?s peu d?entre eux pour travailler les champs ou dans les jardins. J?ai été étonné de voir que l?-bas le travail est considéré comme sans dignité pour un moine, qui devrait se consacrer notamment ? la messe et ? la pri?re. C?est le seul endroit o? j?ai pu constater une telle attitude. En général, les P?res affirment qu?il faut vivre du travail de ses mains. Or, il y a une sorte de dicton ? Athos : il ne faut jamais travailler comme un homme de peine, ni manger comme un la?c. Les monast?res grecs sont assez riches, ils ont des propriétés aussi ? l?extérieur d?Athos ; il y a une communauté riche qui les soutient, de sorte que la vie des moines et l?hospitalité dont je parlais peuvent ?tre assurées assez facilement. Chez les Roumains, dont les moyens sont beaucoup plus modestes, on travaille plus dur et il y a plus d?ordre, de discipline, de propreté. Les monast?res grecs ? je ne le dis pas avec méchanceté ? manifestent une certaine négligence ? l?égard de l?organisation.

A. M. : Athos est renommé pour sa splendeur liturgique.

Horia Bernea : Le niveau ? professionnel ? des moines est en effet impressionnant, ainsi que le déroulement parfait, somptueux du rituel ; c?est une expérience liturgique extraordinaire, accumulée au fil des si?cles. Il y a ensuite les icônes, qui sont d?une qualité et d?une ancienneté éblouissantes ; on ne peut pas voir des choses pareilles dans les musées. C?est un espace o? l?art liturgique est ? son comble, m?me si, brusquement, un tuyau passe ? travers un candélabre, parce qu?on a installé un po?le au milieu de l?église ; ou des fils électriques passent nonchalamment sur des fresques, des figures de saints : mais ils arrivent l? o? il faut, ils ont eux aussi un devoir ? accomplir et ils le font. Tous ces signes de normalité sont incroyables, je dirais typiquement orthodoxes ; j?ai l?impression qu?ils proviennent notamment du monde méditerranéen, du type de liberté de la Méditerranée. Le style du Musée du Paysan se retrouve ? Athos, il est, l?-bas, en pleine action. Ce que j?ai essayé de faire au Musée du Paysan c?est de mettre en évidence une structure discr?te, de réaliser un marquage qui puisse esquisser un état idéal, je dirais une sorte de synth?se de ce genre de vie : la normalité d?une tradition, une décontraction maîtrisée, contrôlée ? si on peut accepter de telles combinaisons de termes ? qui donne naissance, elle précisément, ? la beauté. Je voudrais rappeler le mot de Léonard : ce qui est beau a l?air d?avoir été créé aisément. On retrouve la m?me intuition beaucoup plus tard chez Manet, qui disait qu?un bon tableau est un tableau peint rapidement, apparemment sans y avoir pr?té attention et sans effort. Dans tous ces cas transparaissent l?essence de la vie, la loi de la normalité. Je me souviens du supérieur du Monast?re de Saint-Paul, qui racontait d?une voix égale, nette, presque enchantée comment la biblioth?que du monast?re avait br?lé. Il n?y avait rien de triste, de dramatique dans le fait qu?un tel patrimoine avait disparu ; l?essentiel c?était que la vie du monast?re, vie de pri?re, restait active. Telle est leur attitude, et nous avons du mal ? la comprendre et ? l?accepter, surtout parce que, en tant que représentant d?un musée, notre rôle est de conserver un patrimoine. C?est peut-?tre l?aspect qui pourrait susciter les critiques de ceux qui vivent ? Athos : nous accordons trop d?importance ? la mati?re au préjudice de l?esprit ; selon leur point de vue, nous sommes des adorateurs d?objets. Mais nous n?avons pas le choix : un musée est composé d?objets. De toute façon, nous avons essayé plus que d?autres de recréer l?esprit d?un contexte traditionnel et un certain type de relation avec l?objet : une relation riche, ouverte, qui suppose plusieurs niveaux de signification et qui permet plusieurs angles d?approche.

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