Athos: un lieu contrariant
Horia Bernea
 
Traduit du roumain par Constantin ZAHARIA. Texte publié en roumain dans la revue Dilema, n° 375, du 21-27 avril 2000.

Maintenant, pour revenir ? Athos, la plus belle chose que j?y ai vue c?était une chapelle-portique devant la fontaine du Catholikon de la Grande Lavra (o? se trouve également le plus ancien cypr?s, planté par le fondateur, saint Athanase, en 963). Comme tout portique, il avait une rangée de colonnes : les deux premi?res étaient en porphyre précieux, avec un chapiteau que les moines bâtisseurs avaient considéré comme mieux approprié pour constituer la base du f?t, de sorte qu?elles étaient placées ? l?envers ; il y avait ensuite plusieurs colonnes blanches et quelques autres plus frustes, visiblement façonnées sur place, et finalement une simple tige suivie d?une solive : une collection  nonchalante de différents types d?appui. Une autre image de la vie dans son déroulement sans entrave, ? Iviron, je crois : un pied de vigne qui grimpait sur la muraille haute de plusieurs étages du monast?re. Jusqu?au troisi?me-quatri?me étage, les branches étaient coupées, seul le tronc subsistait, une sorte de tuyau végétal. La vigne, qui avait poussé depuis tr?s longtemps, avait entraîné l?échalas sur lequel le tronc s?était appuyé, de sorte que ce qui au début avait constitué un élément de stabilité était maintenant suspendu ? une tr?s grande hauteur ; mais on l?avait abandonné l?, ? grimper en m?me temps qu?elle. Je ne sais pas si ces images peuvent avoir d?effet sur quelqu?un d?autre, mais pour moi elles sont profondément significatives et émouvantes.

Cette image est d?autant plus frappante qu?elle se trouve ? deux pas de la cél?bre icône de la Vierge appelée la Porti?re, venue par voie d?eau, qui a fondé le monast?re d?Iviron et qui en est le gardien ; c?est l?icône qui ne s?est pas laissé transporter ailleurs, qui a refusé de quitter son premier lieu d?arr?t. Elle est extraordinaire, d?abord par ses proportions. En général, les icônes sont plus réduites que l?échelle humaine, il n?y a que les icônes impériales, constantinopolitaines qui l?égalent. Or, celle-ci est beaucoup plus grande. Le visage de la Vierge et monumental, gigantesque. Elle est maintenant enchâssée, mais ce qu?on en voit c?est une peinture extraordinaire, qui date de la fin du premier millénaire, d?apr?s ce qu?on dit. Elle est tr?s bizarre la nonchalance avec laquelle les moines vous donnent des renseignements ; si on fait des objections, ils les acceptent tout de suite. Pour eux, situer les choses du point de vue culturel n?est pas essentiel ; ils m?nent leur vie avec toutes ces présences, dans un tout autre rapport qu?avec des objets d?art. A Athos, la consubstantialité des icônes et des reliques m?est devenue tout ? fait évidente. C?est la m?me chose. Je ne me rapporte pas ? leur fonction ou ? la continuité qui découle des explications doctrinaires, mais ? leur matérialité. Il n?est pas question ici du fait que les unes et les autres sont enchâssées ou qu?elles ont acquis une certaine patine. Je crois qu?il y avait d?s le début la m?me trame plastique, que l?icône reproduisait certains tracés du visage présents dans les reliques, vers lesquels l?inspiration du peintre d?icônes, plus ou moins importante, s?orientait infailliblement. Ensuite, la position des mains n?a rien ? voir avec quelque représentation vraisemblable, réaliste. Dans certaines icônes de la M?re de Dieu, Eléousa, l?espace formé entre le pied de l?Enfant Jésus, par exemple, et la main de Theotokos qui le désigne est représenté comme un abîme, un vide profond d?obscurité ; il y a l? tout un paysage, un paysage supra-réaliste. La référence ? l?objet proprement dit ? main, pied, corps, homme ? est tr?s imprécise. Visuellement, j?associais cet espace aux gouffres et aux cavités de la grotte de saint Athanase. Il y a une certaine ambigu?té, plus précisément une double perception possible de ces zones intermédiaires dans le champ de l?icône : elles semblent délimiter les éléments du corps humain, mais en m?me temps on a l?impression qu?un vide s?y ouvre, un passage vers un autre niveau d?existence, ce qui renvoie de nouveau vers la condition des reliques. Un théologien parlerait tout de suite de la nature divine et ? la fois humaine du sujet. Mais il ne s?agit pas dans ce cas de donner un discours ou des explications, mais du fait qu?on peut remarquer la matérialité m?me, l?aspect concret de cette communication, de cette imbrication.

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