Balkanique toi-m?me!
Marianne Mesnil
 

Dis-moi ce que tu manges...

Sans vouloir réduire notre Homo balcanicus ? ses "mani?res de tables", personne ne peut aujourd'hui nier que ces derni?res constituent un  aspect fondamental de toute culture.[xvi] Que l'on pense ? la liste des "ethnonymes" que s'appliquent entre elles des populations voisines qui pensent leur "différence ethnique" en termes alimentaires: pour les Bulgares, les Roumains sont des "Mămăligari"[xvii], pour les Français, les Italiens sont des "Spaghetti"; pour les Flamands non Bruxellois, ces derniers étaient appelés "Keekefretters" ("bouffeurs de poulets"), et ainsi de suite.

Mais au-del? des particularismes ethniques, la comparaison des pratiques alimentaires des pays du Sud-Est de l'Europe indique une cuisine et des "mani?res de tables" dont l'unité l'emporte sans conteste sur les variations, que l'on se déplace de Sarajevo ? Istanbul ou d'Ath?nes ? Bucarest. Derri?re l'unité de cette "cuisine balkanique", de la "soupe aigre" au "café ? la turque" en passant par la "courgette farcie", se trouve généralement une tradition culinaire commune qui fut celle de l'Empire ottoman, elle-m?me marquée de traditions byzantines inscrites sur un vieux fond rural "autochtone". Cette unité se refl?te également dans les noms qui désignent une telle cuisine (par exemple, ciorba, ghiveci, baklava, sarailie, autant de mots d'origine turco-arabe). Par ailleurs, au centre des traditions culinaires généralement partagées dans les Balkans, se trouve la date pivot du calendrier orthodoxe avec son repas de Pâques o? ne peuvent manquer l'agneau et le pain rituel au fromage.[xviii] Mais, ? côté de ce repas de commémoration "néo-testamentaire", on trouve aussi cette autre tradition religieuse et culinaire du "Kurban", un sacrifice sanglant qui fait référence ? la tradition vétéro-testamentaire du "Sacrifice d'Abrham" partagée par le Christianisme et l'Islam[xix]. Le maintien de ce rituel dans les traditions chrétiennes peut avoir été favorisé par l'effet d'une cohabitation séculaire entre les deux communautés.

L''épreuve de la "courgette farcie"

Un commentaire facétieux ? la recette des "courgettes farcies" (dovlecei umpluţi) a donné ? R. A. Roman (1998, p. 270) l'occasion de situer ce plat "typiquement national", voire "régional" ? sa juste place, au sein de la cuisine européenne. Je cite: "On trouve des courgettes tout le long des routes et autoroutes d'Europe, mais, tout comme pour les poivrons et les tomates, celles-ci une fois farcies selon les principes géto-daco-latins (également influencés par les principes gépides, huns, goths, avares, hongrois, pétchén?gues, kumans, sicules, tatares, turcs, grecs, slaves, français, lusitanien, arabe, saxon, souabe), elles deviennent roumaines, et dans le cas présent, affectées d'une nuance "Mehedinţi" (région de la Roumanie méridionale).

Tout ceci n'emp?che pas que ladite courgette se fasse plus spécifiquementgrecque et "méditerranéenne" lorsqu'elle est accommodée ? l'huile d'olive; ou "bulgaro-balkanique" si on l'accompagne de yaourt; ou encore roumaine et "carpatho-danubienne" si elle est agrémentée de cr?me fraîche.

On pourrait multiplier les exemples de ces traits culinaires communs ? une "aire balkanique", au-del? de leur spécificité régionale: chaque préparation est susceptible d'une étude particuli?re qui révélera un pan de l'histoire des influences culturelles au sein d'un espace "balkanique".[xx] L'unité culinaire des Balkans, n'est qu'un exemple parmi d'autres qui permet d'indiquer que l'Homo balcanicus fait bien surgir les contours d'une "aire culturelle"[xxi]: dans les domaines les plus variés des expressions de la culture (qu'il s'agisse de comportements religieux, politiques, économiques etc), on peut en effet y repérer l'existence d'une certaine "intercompréhension culturelle"[xxii], dont  l'Occident ne poss?de pas le code.

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