Quel(s) musée(s) pour quelle(s) Europe(s)? Reconversions des musées d?ethnologie nationale et création des ? musées de l?Europe ?
Camille Maze
 

Un colloque fondateur

L?expression ? musée de société ? a été consacrée lors du colloque national ? Musées et sociétés ? qui s?est tenu en France en 1991. Face ? l?effervescence muséale des années ?80, qui avaient vu l?apparition massive en France de musées locaux et nationaux, les gens de musées, suivis par les décideurs institutionnels, estiment nécessaire d?entreprendre une réflexion sur le sens, le contenu, la vocation et l?unité de ces institutions culturelles. Ecomusées, centres d?interprétation ? locaux ? et ? régionaux ?, musées nationaux d?ethnologie, d?histoire, de sciences, de techniques et d?industrie, ruraux et urbains, sont alors explicitement chargés d?une mission sociale et ? identitaire ?, ? l?origine de l?appellation ? musées de société ?. Au-del? des fonctions de collecte, de conservation et de restitution propres au musée, le ? musée de société ? ?uvre pour la promotion des ? territoires ?, des ? identités ?, des ? mémoires ? et des ? histoires ? spécifiques. Pour ce faire, il doit développer des liens entre institution culturelle, ? territoire ? et habitants et ? aider le public ? comprendre la société dans laquelle il vit ?[1].

Une responsabilité ? identitaire ? national (-iste) problématique[2] 

Les ? musées de société ? font réguli?rement l?objet de remises en question, notamment en période de crise et de mutation sociale ou politique. Ceci vaut particuli?rement pour les musées d?histoire et d?ethnologie nationale (Jamin, 1998, Prado, 1995), dont la responsabilité ? identitaire ? pose probl?me. Historiquement, la majorité des musées nationaux d?ethnologie et d?histoire en Europe sont apparus au 19e si?cle (Maure, 1993), au moment de la création des Etats-nations (Hobsbawm et Ranger, 1983, Thiesse, 1999). Mettant en sc?ne la nation ? travers des objets, des images et des discours savants et esthétiques, attribuant ? la nation un mythe fondateur, des fronti?res spatiales et temporelles, une langue, une religion, des rites et des coutumes traditionnelles, bref une ? culture ?, les musées d?ethnologie nationale sont censés avoir participé ? la diffusion du sentiment d?appartenance nationale aupr?s de ses concitoyens. Pour fédérer le ? peuple ? autour de cette ? communauté imaginée ? (Anderson, 1983) nationale, il fallait forger un mythe fondateur et trouver une figure capable d?incarner la ? nation ? originelle, dans toute sa ? pureté ? et son ? authenticité ?. Simultanément dans plusieurs pays d?Europe, le monde rural et la figure du paysan ont été élus comme le ferment de la nation. Ce processus a surtout bien fonctionné au Nord et ? l?Est de l?Europe o? la ? culture populaire ? a été placée au c?ur de la construction nationale (Mihăilescu 1991, Popescu, 1995) tandis qu?en France ou en Italie, c?est la ? culture savante ? (Gellner, 1983)  qui a d?abord servi ? légitimer la ? culture nationale ?. C?est d?ailleurs l?une des raisons de la création tardive en France d?un musée national des arts et traditions populaires[3].

Aujourd?hui, la question se pose partout en Europe de savoir quoi faire des musées d?ethnologie nationale ? Quoi faire de ces musées désuets, peu visités, peu soutenus symboliquement et matériellement, qui souffrent de leur forte implication ? identitaire ? et croulent sous le poids de milliers d?objets folkloriques et ordinaires, qui font office de témoins ethnographiques et ont une valeur relative par rapport aux chefs d??uvre des musées de beaux-arts ? M?me dans les pays o? les musées d?ethnologie nationale semblent conserver une certaine vitalité, dans les pays o? le monde rural et la figure du paysan continuent d?avoir du sens, au regard de la situation de crise quasi générale qui touche les ? musées de société ? actuelles et des mutations sociales et politiques auxquelles ils doivent s?adapter, l?on s?interroge. Quel rôle assigner aujourd?hui au musée d?ethnologie et ? la discipline elle-m?me ? Quel(s) musée(s) pour quelle(s) société(s) ? Quel(s) contenu(s) pour quel(s) public(s) ? Quelle vocation sociale, politique et éducative et quelle responsabilité pour les musées nationaux dans le contexte de construction européenne ?

[1]Voir le site internet de la Fédération (française) des Ecomusées et des musées de société (http://fems.asso.fr).

[2]Nous parlons ici de responsabilité identitaire et de construction identitaire dans le sens o? nous nous intéressons ? la production par des entrepreneurs culturels, d?images et de discours, destinés ? créer un sentiment ? identitaire ?. Mais il faudrait compléter cette approche constructiviste par une analyse de la réception de ces images et discours, avant tout normatifs et prescripteurs. S?il y production d?images et de discours en aval, destinés ? diffuser un sentiment identitaire, cela ne signifie pas que le public incorpore en amont ces images et ces discours tels quels, sans se les réapproprier. Il est donc nécessaire de travailler également sur le processus d?appropriation et sur les sentiments d?appartenances ? réels ? pour comprendre si la déconstruction des outils de représentation symbolique de la nation et la création de ? Musée de l?Europe ? vont saper le sentiment d?appartenance nationale et suffire ? créer de ? l?identité européenne ?. Sur la question des liens entre ? identité ?, ? identification ?, ? image ? et ? sentiment d?appartenance ?, voir notamment P. Bourdieu, 1980, pp. 63-72, et R. Brubaker, 2001, pp. 66-85. Pour une tentative dépassement des théories constructivistes, voir G. Laferté et M. Avanza, 2005, pp.154-167.

[3]Sur la création d?un ? Louvre ? sur et pour le peuple en France, voir M. Segalen, 2005.

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