Des musées d?ethnographie italiens entre mission et professionnalisation
Cristina Papa
 

La question posée par Vintilă Mihăilescu en ouverture de son intervention, ? savoir ? de quelle vision et de quelle cause parlons-nous lorsque nous nous référons au Musée du Paysan et quel sens produit-il dans le contexte culturel et politique roumain? ?, pourrait ?tre élargie ? tous les musées : chacun d'entre eux est en effet le résultat de poétiques et de politiques qui, si elles ne sont pas toujours explicitées, si leurs visiteurs et leurs promoteurs eux-m?mes n'en sont pas conscients, n?en restent pas moins précisément déterminées. Le rôle de l'anthropologie devient alors essentiel, car c'est justement elle qui a su mettre en évidence les formes complexes des processus de patrimonialisation. Et ce rôle devient doublement important ? partir du moment o? elle se voit impliquée dans les th?mes et probl?mes dont traite le musée, comme c'est le cas pour les musées axés sur les aspects culturels d'un territoire donné, musées ethnographiques, anthropologiques, ethnologiques ou folkloriques (selon leur dénomination dans les différentes traditions nationales). L'importance croissante de l'analyse des processus de patrimonialisation dans la recherche anthropologique actuelle tend ? réduire les distances qui s'étaient créées au cours des derni?res décennies entre recherche anthropologique et muséographie, m?me si le double rôle de l'anthropologue, impliqué ? la fois dans des opérations de patrimonialisation en tant que muséographe et dans l'étude de ces m?mes phénom?nes, peut soulever des questions d'ordre méthodologique et politique.[1]

Le fait que, dans le cas présent, le directeur de ce musée soit ? la fois anthropologue et chargé de recherche et d?enseignement universitaire signale une tendance selon moi tr?s positive, que l?on peut aussi observer dans mon pays : le fait qu?actuellement le musée constitue - entre autres - pour un anthropologue ? l'une des formes devenues de plus en plus importantes de l? ? écriture ? ethnographique ? (Clemente, 2006 :73). En Italie, ce regain d?intér?t pour le musée en tant que lieu de médiation avec la société, lieu d?étude et d?écriture pour anthropologues, co?ncide avec une phase particuli?rement animée de la muséographie anthropologique, qui signale que le musée ethnographique y fait probl?me.[2] Mais, avant de m?arr?ter sur quelques unes des tendances actuelles, j?aimerais relever certains traits ayant pu, par le passé, caractériser cette muséographie et ayant inévitablement conditionné la situation actuelle. L?une de ces caractéristiques est que les musées ethnographiques italiens se sont constitués dans une tradition de marginalité, tradition devenue, avec le temps, véritable vocation, caractéristique principale. La comparaison avec la muséographie archéologique ou historico-artistique s?est traditionnellement soldée par des échecs pour cette muséographie ayant pour centre d?intér?t la vie quotidienne et les classes populaires et tendant ? exercer une fonction ancillaire. Il faut aussi ajouter que généralement en Italie, m?me lorsqu'il s'agit d'un patrimoine culturel que l?on peut privilégier par rapport au patrimoine anthropologique, on a du mal ? "reconnaître la spécificité muséale?dans la culture nationale, la recherche académique, l'enseignement et la formation o? le musée a toujours eu une fonction ancillaire, de simple réceptacle des ?uvres et des objets" (Visser Travagli, 2005 : 41). Particularité qui a ses théoriciens parmi ceux qui, devant la consistance et la diffusion du patrimoine culturel sur tout le territoire italien (Italie qui devient ainsi un musée diffus), ne voient dans le musée en tant que tel qu'une institution marginale, périphérique ? cette présence diffuse. Cette faiblesse de l'institution muséale est encore plus marquée pour les musées ethnographiques, caractérisés par la présence d?institutions fragiles, dotées de peu de moyens et de faibles perspectives de continuité, o? n?ont pas réussi ? s?affirmer des compétences professionnelles spécifiques. Ce phénom?ne s?est accompagné dans la recherche anthropologique d?une sous-évaluation des objets et de la culture matérielle. Ce contexte explique pourquoi un musée national des traditions populaires n?a pas été fondé dans l?Italie de la fin du XIXe et du début du XXe, comme cela s?est produit dans la plupart des autres pays européens, et comme ce fut le cas ? Bucarest en 1906. En Italie, le Musée National des Arts et Traditions Populaires n?a été fondé qu?en 1956, au terme cependant d?une cinquantaine d?années d?activités préparatoires.

[1]Un débat s'est ouvert ? ce sujet dans les numéros 1,2,3,8, 2002-2003-2004 de la revue Antropologia Museale, qui a récolté des articles de Pietro Clemente, Fabio Dei, Gianluca Grassigli, Vito Lattanzi, Massimilano Minelli, Vincenzo Padiglione, Dino Palumbo et Giovanni Pizza. De l?abondante bibliographie concernant le rapport entre musées et pratiques de patrimonialisation, on retiendra ici : Nora,1986, Jeudy 1990, Price,1995; Ethnologie française, 1995, Clifford, 1997, Ethnologie française 1999, Remotti 2000, Jeudy, 2001.

[2]Ces derni?res années ont vu la naître une société, la SIMBDEA (Société italienne pour la muséographie et les biens démo-etno-anthropologiques), dont le président est Pietro Clemente, et d'une revue de la société, Antropologia Museale, dirigée par Vincenzo Padiglione.

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