On a souvent pu entendre dire que le musée conçu par Horia Bernea, accompagné d?Irina Nicolau et de toute une équipe était un musée de spiritualité, spécialement dans la mesure o? il centrait beaucoup de ses expositions sur le motif de la croix. Il est toutefois clair qu?il ne s?agit pas d?une spiritualité de type confessionnel, ni m?me religieuse au sens étroit du terme. Si la croix est le noyau thématique de l?exposition, elle y apparaît comme un symbole fondamental, comme un signe omniprésent dont la géométrie structure le monde, toute construction ferme, la fen?tre, l?arbre, la texture, le corps humain m?me, et ce n?est qu?apr?s que viennent s?y ajouter les aspects proprement chrétiens. Il ne s?agit pas non plus d?une spiritualité ? dominante étroitement identitaire, d?une apologie de la spiritualité roumaine. L?exposition utilise évidemment des objets appartenant ? cet espace, mais la recherche de Horia Bernea visait en fait la reconstitution de l?athanor civilisationnel de l?homme européen, des coordonnées de l?ancienne unité européenne, et en cela ne pouvait ignorer le christianisme des premiers si?cles, qui métabolisa les cultures méditerranéennes et aux côtés duquel certaines lignes de ces cultures ont pu se perpétuer. Sans mythifier le monde paysan, Horia Bernea considérait qu?il est un des conservateurs - non, certes, intacts, mais quand m?me des plus fiables - de la mémoire européenne, qu?il préserve une couche culturelle o? l?unité prévaut sur les différences géoculturelles et sur les fractures historiques du continent. Le philosophe Gabriel Liiceanu disait qu?il essayait de mettre en place comme un ?moulage de l?immense trace de la patrie européenne originelle?[1] (et dans la salle ?Faste?, les figures ? peine incisées sur les murs, les clefs de vo?te, de type byzantin ou roman, qui y sont peintes, ? côté des vitrines o? s?entassent des fragments de broderie marquent en effet la trace comme une des idées dominantes de l?exposition). Mais cette idée ne témoigne pas d?une nostalgie bl?me des origines, ne rel?ve pas d?une reconstitution idyllique. Elle évoque un milieu qui reste expressif, ? travers l?histoire, pour l?homme actuel et dont il peut bénéficier, dans les conditions du présent, par l?attention, le déchiffrement, l?interprétation. C?est pourquoi le M.T.R de Horia Bernea est, entre autres, une contribution ? ce qu?on appelle aujourd?hui l?enjeu de la mémoire européenne, un travail assez nécessaire maintenant, quand la nouvelle Europe entreprend une recherche difficile de son identité. Selon moi, le grand th?me de l?essai muséal est la question du symbolisme en soi, en tant que moule d?une mentalité traditionnelle. Conformément ? une logique universelle, qu?elle soit d?expression platonicienne ou paysanne, chrétienne ou non, le symbolisme constitue la mani?re m?me dont la réalité réelle, les formes-archétypes s?impriment et s?expriment ? travers les différents niveaux d?existence : les niveaux du cosmos, de l?humain, du social. C?est ce symbolisme qui tisse entre les étants d?innombrables analogies, en donnant au monde une cohérence, une intelligibilité. L?exposition montre alors les mani?res, les méthodes par lesquelles le symbolisme est mis en oeuvre par une tradition paysanne et artisanale, m?me préchrétienne, et que le christianisme a dans une certaine mesure assimilée. On y met en évidence le fait qu?un milieu traditionnel perçoit le symbolisme comme étant ? la fois objectif, inscrit dans la nature des choses, et ? actualiser. Dans la salle ? L?arbre de vie ? se trouve un tronc auquel sont accrochées des croix de commémoration des morts, avec, ? côté, une photo de la situation de terrain. Muséifié, l?arbre a mis ? nu sa structure d?axe et de croix. Les croix de commémorations s?apparentent, comme figure géométrique et fonction symbolique, ? l?arbre; ils se fortifient l?un l?autre dans leur fonction anagogique. En ?citant ? donc une situation réelle, on met en évidence non pas tant un procédé funéraire singulier, mais une correspondance actualisée, un symbolisme que nature et culture partagent. Au pied du tronc se trouve, sur un support horizontal fait de cordages entrecroisés, un tapis sur lequel figure l?arbre de vie. L?ensemble ? tronc ? croix commémoratives, support et tapis ? donne ? voir la croix en tant que structure naturelle d?appui et structure culturelle pratiquée. [1]Gabriel Liiceanu, Uşa interzisă (la porte interdite), Bucarest, Humanitas, 2002, p. 207. |