Les espaces de l?identité
Şerban Anghelescu
 

L?exil, qu?il soit temporaire ou définitif, imposé ou volontaire, collectif ou individuel, oblige les personnes concernées ? l?abandon de leurs biens et de leur famille, ? la perte de leurs droits de citoyens et surtout ? l?abandon d?un territoire avec lequel, jusqu?? ce moment-l?, ils avaient été solidaires, qu?ils avaient organisé et qu?ils avaient cultivé et lequel contient de plus, les tombes de leurs anc?tres, offrant ainsi de la profondeur ? travers le temps et surtout la stabilité extr?me des trépassés, aboutissant en fin de compte ? ?tre une propriété qui te poss?de, vraie identité  inscrite dans l?espace. Au sens stricte du mot, on a affirmé souvent que l?espace n?est qu?un vide peuplé lieux. Ces derniers, limités, déterminés, contiennent l?identité des habitants des lieux. L?espace segmenté et structuré des Indiens Zu?i, décrit par Frank N. Cushing est cité par Ernst Cassirer dans sa Philosophie des formes symboliques en tant qu?exemple d?organisation définitive du monde: ?La totalité de l?espace est divisée en sept régions, le nord, le sud, l?ouest et l?est, le monde supérieur et le monde inférieur et finalement le milieu, le centre du monde et chaque ?tre poss?de  une place et une seule, dans cette organisation générale, qui lui est assignée une fois pour toutes. Les éléments de la nature, les mati?res du corps et les différentes phases d?un processus se différencient selon les différentes perspectives offertes par cette division. Au nord appartient l?air, au sud le feu, ? l?est la mer, ? l?ouest l?eau, le nord est la patrie de l?hiver, le sud - celle de l?été, l?est - celle de l?automne et l?ouest - celle du printemps. Les divers états des hommes, les professions et les fonctions officielles entrent également dans ce schéma fondamental: la guerre et le guerrier appartiennent au nord, la chasse et le chasseur ? l?ouest, la médecine et l?agriculture au sud, la magie et la religion ? l?est.? (Ernst Cassier, La philosophie des formes symboliques, Paris, Édition de Minuit, 1986, vol. II (La pensée mythique), p. 113. Les habitations des proto-Indo-Européens étaient des espaces closes. Les mots roumains grădină(jardin) et gard (clôture) font, m?me de nos jours, la preuve linguistique du sens de la délimitation. L?ancien mot slave gradu signifiait ? la fois: citadelle, cité, jardin. L?espace clos est celui de la domesticité, de la civilisation (lat. urbs), tandis que l?espace ouvert, câmpia, (le champ, lat. rus), appartient ? l?état sauvage. (Bernard Sargent, Les Indo-Européens. Histoire, langues, mythes, Paris, Payot, 1995.) L?ancienne opposition du dehors et du dedans a marqué maintes fois le monde par la ségrégation. Les habitants de la maison, de l?État, de la ville, de l?empire sont déj? civilisés, consacrés, sujets des lois, tandis que ceux de l?extérieur,  les étrangers, les sauvages, les barbares, eux, ils représentent la menace perpétuelle du chaos. Les habitants de l?espace clos incarnent l?ordre politique et cosmique, tandis que les étrangers, ceux tellement différents et bizarres, eux, ils ne peuvent représenter un autre type d?ordre, puisque l?ordre, lui, il est unique. Il est celui des habitants de l?espace intérieur; quant au reste, ? ceux de la périphérie par rapport au centre occupé par les habitants de l?espace clos, ceux-l?, ils ne sont tout ? fait des humains. Evidemment nous y considérons une vision archa?que. Elle n?a jamais fonctionné de mani?re absolue, mais il suffit d?y invoquer la situation des éph?bes athéniens selon l?interprétation de Pierre Vidal-Naquet, pour comprendre l?existence marginale du jeune-homme, ainsi que l?ambigu?té de la situation de celui qui, avant d??tre définitivement accepté dans la catégorie des adultes mariés et armés, défend les fronti?res de la cité, étant considéré peripolos, celui qui rôde autour de la cité. (Pierre Vidal-Naquet. Le chasseur noir, Paris, Maspero, 1981). Les jeunes Lacédémoniens étaient, probablement, obligés ? mener une vie compl?tement différente de celle de l?hoplite, justement pour assumer cette existence sauvage, antérieure ? la civilisation, ? laquelle ils allaient s?intégrer. A l?extérieur de la ville, dans cet espace-l?, il y avait un recul dans le temps; cette régression ? travers le temps avait le rôle d?assurer ? l?initié une connaissance pratique de l?humanité dans son entier, sauvage et cultivée ? la fois. En tant qu?initiation tardive, le retour d?Ulysse de Troie place le héros entre l?animalité et la divinité pas seulement pour faire ressortir l?humanité, en tant que terme moyen des deux extr?mes dont on a déj? parlés, mais aussi en vue d?obtenir l?expérience nécessaire ? l??tre humain complet. Sois fauve ou vis dans la proximité immédiate du monde sauvage, sois dieu ou vis dans la proximité des dieux, mais choisis constamment la condition moyenne  qui est celle humaine !

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