Les espaces de l?identité
Şerban Anghelescu
 

Hérodote nous fait savoir la hiérarchie ethnique des Perses anciens. La valeur des étrangers décroît par rapport ? la distance face au centre o? eux, les Perses demeurent. Ces derniers se consid?rent les humains par excellence: ?Ils estiment entre tous, apr?s eux-m?mes, les peuples qui habitent le plus pr?s d?eux; en seconde ligne, ceux qui sont au second degré d?éloignement; puis, graduellement, ils mesurent leur estime en proportion  de la distance, et font le moins de cas de ceux qui habitent le plus loin d?eux; leur pensée est qu?ils sont eux-m?mes de beaucoup les meilleurs des hommes sous tout rapport, que les autres tiennent ? la vertu dans la proportion que nous disons, et que les plus éloignés d?eux sont les pires.? (Hérodote, HistoiresFondation et progr?s de l?empire perse: Histoire de Cyrus, Paris, Belles-Lettres, 1932, livre premier, p.133). Il y a aussi une opinion contraire, qui inverse les rapports  entre l?espace et la valeur. La périphérie du monde, comme anneau qui contourne pratiquement toutes les régions habitées, semble pouvoir contenir toutes les mati?res rares et riches, les ?tres vivants étranges et uniques, les hommes les plus beaux. ?En Inde les quadrup?des et les oiseaux ont des dimensions gigantesques; l?Arabie, le dernier pays peuplé du Sud, produit des enceins, du myrrhe, de la cannelle; il y a l? des moutons aux queues immenses, lesquelles toutes liées se trouvent dans des brouettes fabriquées par les bergers; ? l?extr?me Ouest habité les hommes de l?Ethiopie sont les plus grands, les plus beaux et les plus longevifs du monde entier.? (Hérodote, le IIIe livre, passim). Les confins presque fabuleux de la terre peuplée, difficiles ? atteindre, contiendraient, selon les idéologies mythiques, soit la mis?re ultime, la monstruosité et la désorganisation, puisque le pouvoir ordonnateur du centre relâche jusqu?? son anéantissement, soit, tout au contraire, ils représenteraient une sorte de refuge ultime des ?tres rares et un pot aux parfums merveilleux, mais presque introuvables, comme si la perfection se retirait et se cacherait.

Jusqu?? une époque tardive on a situé le mal extra muros. Nicolae Iorga signalait lors de ses voyages les destinations,  ? ce moment donné des monast?res des environs de Bucarest. ?Au Vacaresti, construit sur la commande de Nicolae-Voda Mavrocordat, une merveille d?art de son temps  abrite les voleurs; Marcutza ? les fous, au Pantelimon de Grigore Ghica le II d, une imitation d?ancien château occidental bâti sur cette terre levantine, ? la moitié du XVIII e si?cle, abrite les incurables? (N.Iorga: ?Drumuri şiorase din Romania?, Bucuresti, Minerva, 1904, p.118). Iorga est mentalement préparé ? voir dans la périphérie citadine l?informe et l?hybride. En route vers Bucarest, le crépuscule est magnifique, berçant les champs ? droite et ? gauche de la chaussée Pantelimon. Cette perfection  picturale est celle d?un paysage vidé de gens, tandis que l?itinéraire proprement-dit est peuplé des exemplaires souffrant des infirmités passag?res ou définitives, auxquelles s?ajoutent le bétail ainsi que les cochons morts ou ceux qu?on menait ? l?abattoir: ?Des imberbes fatigués, des vieux munis des bâtons noueux tâchant ? reconnaître leur route, des chars bourrés de décolleurs-charcutiers menant des porcs aux poils hérissés, qui gisaient sur des planches de grands chariots aux ivrognes attachés aux ivrognes..? L?agglomération rhétoriquement admirable tout le long d?un chemin périphérique tient de cette sorte d?observation, laquelle fait la sélection des images ? partir du type de mod?le mental, dont on a déj? parlé.

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