Les espaces de l?identité
Şerban Anghelescu
 

L?installation avec tous les droits dans un certain lieu est marquée physiquement et symboliquement, par l?enterrement. Selon l?Ancien Testament la tombe symbolise l?établissement indiscutable, l?immobilité, la consubstantialité du corps défunt ? la terre. Abraham demande aux fils de Heth de lui vendre un lieu d?enterrement pour sa femme Sarah: ?Je vis avec vous, dit-il, comme un émigré et un hôte. Cédez-moi une propriété funéraire parmi vous, pour que j?ensevelisse la morte qui m?a quitté. Les fils de Heth répondirent ? Abraham en ces termes: Ecoutez-nous, mon seigneur. Dieu a fait de toi un chef au milieu de nous, ensevelis ta morte dans le meilleur de nos tombeaux. Aucun de nous ne t?interdira son tombeau pour la sépulture de ta morte. Abraham se leva pour se prosterner devant le peuple du pays, les fils de Heth. Il leur parla en ces termes: Si réellement la morte qui m?a quitté, doit ?tre  avec vous, dans un tombeau, écoutez-moi et intercédez pour moi aupr?s d?Ephrôn fils de Cohar, pour qu?il me c?de la caverne de Makpela qui lui appartient  ? l?extrémité de son champ. Qu?il me la c?de pour sa pleine valeur ? titre de propriété funéraire parmi vous.? (Gen?se, 23, 4-10). Abraham fait une distinction nette entre le don et la propriété qu?il est en train d?acheter. La place de la tombe sera formellement délimitée de celles des gens du pays et justement elle constituera le noyau de l?établissement au Canaan, une terre des  morts pas des vivants. Abraham, patriarche déj?, sera enterré lors de sa mort ? côté de Sarah. Jacob, lui, il meurt en Egypte. Sur son lit de mort le patriarche bénit ses fils et il leur ordonne de la proximité immédiate de la mort: ?Je vais ?tre réuni ? mon peuple. Ensevelissez-moi aupr?s de mes p?res, dans la caverne au champ d?Ephrôn, le Hittite, dans la caverne du champ de Makpela, face ? Manré  au pays de Canaan, le champ acquis par Abraham d?Ephrôn  le Hittite ? titre de propriété funéraire. C?est l? qu?on a enseveli Abraham et sa femme Sarah, c?est l? qu?on a enseveli Isaac et sa femme Rébecca, c?est l? que j?ai enseveli Léa.? (Gen?se 49, 29-32). Joseph mort en terre étrang?re, embaumé d?apr?s la coutume égyptienne et mis dans son cercueil, serait enterré, tout en respectant sa volonté derni?re, aupr?s de ses anc?tres. C?est Mo?se, qui portera ses os pendant l?Exode. L?Exil prend vraiment fin lors du retour du corps du défunt en question dans le pays et son inhumation ou sa réinhumation. De retour dans sa terre natale, il est réuni maintenant aux siens, apr?s la séparation volontaire ou involontaire d?avec son espace d?origine de son vivant. Ca veut dire qu?on devient propriétaire d?une terre grâce ? une lignée de morts qui y dorment, et on est, suivant la tradition, la propriété de cette m?me terre, qui engloutit d?un air maternel ses seigneurs. Du point de vue symbolique il s?agit d?un seul corps nourri de sang, de sueur et des larmes et soutenu par les os des a?euls et des bisa?euls gîsant dans cette m?me terre qui nous rassasie.

Le personnage José Arcadio Buendia, le fondateur du village Macondo, du roman Un si?cle de solitude, de Gabriel Garcia Marquez, dit ? sa femme Ursula: ?On est de nulle part, tant qu?on n?a pas de mort enseveli dans une terre certaine.? Il nous faut un lien profond, viscéral, pour avoir la qualité d?autochtone. La métaphore de la racine pénétrante dans des lieux invisibles, ainsi que la fixité du végétal ont un sens tout ? fait différent de celui de la mobilité de l?homme et des animaux qui parcourent de vastes surfaces. Du point de vue figuré, les gens qui ont le sentiment d??tre attachés viscéralement ? des endroits qu?ils sentent ?tre les leurs, perçus comme tels, sont, sans doute, pareils ? la végétation, aux herbes et aux fleurs des ces lieux. L?existence d?Ulysse, cet explorateur des territoires mythiques, a, quand m?me, son point fixe, pas du tout aléatoire. Il s?agit de son lit, que seulement un dieu pourrait  déplacer; ce lit achevé de la propre main d?Ulysse d?un tronc vigoureux d?olivier, dont les racines font ce lien vraiment stable avec la terre, tant reposante et féconde. Le retour du héros est parfaitement exemplaire. Ulysse embrasse rituellement la terre natale et puis, d?un autre geste rituel, les bras largement ouverts, il implore les na?ades. Apr?s une si longue séparation, ses premiers gestes de rattachement sont ceux envers la terre et les divinités protectrices du lieu. La réintégration dans sa propre famille menacée par les galants est de loin plus compliquée. La déesse Athéna métamorphose le héros en vieillard couvert de guenilles, dégo?tant. Laid, vieux et gueux, Ulysse rentre progressivement sur son domaine. Il se dirige premi?rement vers l?espace marginal des domestiques, plus précisément vers la maison d?Eumée, le gardien des cochons. C?est d?ici qu?il commencera la reconqu?te des positions centrales. Quoiqu?adulte et sujet aux dures épreuves, champion des voyages initiatiques extramundans, Ulysse réagira en éph?be, lequel, comme nous l?avons déj? mentionné, était contraint, par le code des rites de la cité, ? assumer, un certain délai au moins, la position d??tre marginal, ?barbare?, avant de pénétrer et de s?installer au centre. Nous sommes les témoins de la restauration de l?identité occultée en raison d?une si longue absence. Pendant le rinçage des pieds du vieil étranger, la nourrisse d?Ulysse reconnaît la cicatrice d?une ancienne blessure, qu?un sanglier avait fait ? son maître. M?me si cet épisode de la chasse ne soit qu?une interpolation, th?se qu?on a déj? soutenue, il este parfaitement justifié dans la logique de cette découverte du rétablissement dans la famille. Autolycos, l?oncle du héros, apparaît dans cette histoire en tant que ?parent? de celui-ci, car il reçoit le nouveau-né sur ses genoux, il lui donne un nom et plus tard ses propres fils organisent pour Ulysse une chasse dans les for?ts du Parnasse. Le jeune Ulysse abat un sanglier qui lui blesse le pied. L?idéologie indo-européenne attribuait  une signification distincte ? la chasse des jeunes aristocrates. L?abattage de la premi?re proie représentait une étape nécessaire dans l?initiation militaire. Ulysse, marqué déj? de ce signe indélébile porté par l?initié des sociétés anciennes, sera f?té de son retour en Ithaque. Le souvenir de cette heureuse et victorieuse rentrée, face au danger mortel du retour, peut ?tre considérée une contrainte magique de la réalité. De plus, ce rétablissement dans l?espace natal, apr?s une longue absence se réalise dans l?Odyssée par le rappel ? la mémoire de la naissance et de l?initiation, de façon que l?absent serait venu au monde pour une seconde fois, en oubliant l?éloignement.

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