Objet vivants En danger de mort , le héros (ou l?héroine) du conte fantastique sort tour ? tour des oreilles de son cheval un affiloir, une brosse etc. L?affiloir et la brosse jetés derri?re se transforment soudain en une énorme montaigne s?élevant jusqu?au ciel et en une immense for?t impénétrable. Cette métamorphose produite ? la suite d?un geste violent ? le jet ? nous pousse ? réfléchir aux virtualités insoupçonnées des objets domestiques, ? imaginer une montagne ? l?état latent, concentrée dans l?affiloir, une for?t in nuce pr?te ? pousser ? partir d?une simple brosse. Les deux objets ,,issus?? des oreilles du cheval ont une apparence normale, peuvent ?tre confondus avec les objets fabriqués similaires, seulement, cette fois-ci, ils surgissent, énigmatiquement, d?un corps vivant. Ce sont des formes finies qui apparaissent tout d?un coup, ? la différence des autres objets semblables, faits de main d?homme. Ces dernieres traversent des étapes intermédiaires, ils sont l?effet d?une série d?operations techniques. Dans le cas du conte fantastique, ce qui compte c?est l?appartenance initiale de l?objet magique ? un corp, sa relation intime et, en fait, jamais élucidée, avec une structure organique. Le fait de se séparer d?un corps leur conf?re le statut de ob-iectum, d?objet placé devant le spectateur. Dans la culture paysanne roumaine et, en général, dans les cultures traditionneles, les objets, du moins ? une époque archaique, assument de façon sacrificielle un corps vivant ou soutiennent, comme nous le verrons, le corps défunt, ils s?organisent en un corps second, protecteur. En l?absence d?une relation sacrificielle avec le corps vivant, l?objet se désagr?ge indéfinement. Dans la balade Mesterul Manole, le monast?re, ou plutôt les murs du monast?re construits pendant la journée s?effondrent chaque nuit. La technique profane de la construction en régime diurne se rép?te comme le travail de Sisyphe. Ce n?est que par une ,,adhérence au mur?? ? en l?occurrence, par le sommeil du Maître Manole, lequel s?endort la t?te sur une pierre du mur ? qu?apparaît la solution, le r?ve salutaire. La contiguité du corps et de l?objet dans le régime nocturne, onirique, le fait de se plonger dans l?objet sauvent la construction. La femme du maître ? chose remarquable ? n?est pas victime d?un sacrifice sanglant, n?est pas tuée et enterée dans les fondations de l?édifice. La valeur n?est pas donnée par le sang versé. La femme est murée en position verticale. Ainsi, la progression lente du mur l?enveloppe et la serre comme si son corps se transformait peu ? peu en muraille, comme si les chevilles, les genoux, la taille, les seins se transformaient en pierre. Dans la ballade, les rapports initiaux des bâtisseurs avec l?objet sont purrement techniques, neutres, extérieurs, libres. Le mur est, ? l? évidence, un objet anorganique, un conglomérat de chaux et de briques qui a, toutefois, une ,,vie?? nocturne inquiétante : il s?effondre tout seul, il n?accepte pas la forme. Ce n?est que l?incorporation, l?organicité qui produit une forme durable. L?édifice final n?est pas un simple objet, radicalement séparé et aliéné par rapport au sujet créateur. Cet objet est vivant, organique, il assume un corps humain qu?il tue, mais don?t il adopte les mouvements vitaux. Le mur qui s?él?ve du corps de la femme contient ses gémissements, son lait, ses larmes. |