Le tridimensionnel signifie dans le volume; le volume am?ne une présence inquiétante de la substance, qui est plutôt passion qu?illusion. La statue se laisse caresser, peloter; les nez des statues sont luisants m?me dans les musées, o? inexplicablement, les gens les plus au-dessus de tout soupçon finissent par céder ? de trop humaines tentations. Cacher la mati?re, dans ce cas - voil? une difficile mission! Elle a été menée ? bien dans le classicisme; mais il a fallu pour cela décréter qu?il y a une seule et unique mati?re représentationnelle autorisée; s?il n?y en a qu?une, elle est redondante, on peut l?ignorer en tant que telle, puisqu?elle est le substrat commun de tous les volumes signifiants qui seront, par la foule des artistes, tirés de l?indéterminé. Telle a été au XVIIe si?cle la mission du marbre; le choix s?explique tant par l?héritage grec (? son tour redevable ? une fine observation des matériels disponibles sur le pourtour de la mer Egée, et remontant - qui sait? - ? une époque pré-indo-européenne), que par l?abondance et la qualité de cette mati?re en Italie, patrie de la Renaissance. Volume et surface du marbre homog?ne, qui sont inséparablement liés dans cette tridimensionalité isotrope, jouent le m?me rôle que la planéité du tableau, ? savoir celui de sc?ne o? se déroule le spectacle de la signification. Cependant, il existe en Europe une tradition représentationnelle qui emploie dans le m?me objet des mati?res différentes. Elle remonte elle aussi ? des temps archa?ques, pour revenir ? notre époque au premier plan avec les collages cubistes et les sculptures-assemblages. D?un point de vue purement théorique, admettre dans l?espace du sens les différences substantielles revient ? instituer une quatri?me dimension. Cette dimension est celle sur laquelle s?inscrivent les variations de matérialité: pierres et plumes, comme dans les parures indiennes; or et argent, dans les objets du culte chrétien; bois, couleurs minérales et restes organiques, dans les fétiches africains. Ces objets posent ? une perception non avertie un probl?me analogue ? celui qui vient d??tre énoncé: il faut effacer les propriétés substantielles censées ne pas signifier, afin de mettre en pleine lumi?re celles ? travers lesquelles se construit le sens de l?objet. Or, lesquelles sont-elles, précisément, ces élues? A quoi les reconnaître? Notre étude des différentes traditions n?est pas toujours suffisamment avancée pour nous permettre d?indiquer exactement comment cette difficulté est surmontée par les hommes qui vivent dans les cultures ? objets plurisubstantiels. Ainsi, dans certains masques africains, le reste organique n?est pas une chose d?o? la vie s?est enfuie (c?est le bec d?un oiseau appartenant ? une esp?ce qui symbolise le pouvoir), tandis que l?ocre rouge qui a servi ? la consécration des chefs n?est pas tout ? fait minéral, étant chargé d?une force fertile: il se construit quelque chose comme une homogénéité et une isotropie, la quatri?me dimension constituée par ces mati?res étant celle des diverses modalités de la puissance, ? chercher dans les connotations des esp?ces substantielles. Il est probable que, pour que cette lisibilité puisse se fonder, la liste des substances représentationnelles n?est pas ouverte, et que dans chaque culture il existe une clé de lecture qui spécifie le mode de la continuité entre celles qui y figurent. C?est comme dans le cas de la musique européenne, aux XVIIe-XVIIIe si?cles: la durée et la hauteur bâtissent une bidimensionalité signifiante, ? laquelle s?ajoute une dimension supplémentaire, celle du timbre des instruments; mais pour que les différents timbres permettent la construction d?un sens, la liste des instruments dans un orchestre doit ?tre fermée. Le bandonéon et la machine ? vent feront une musique autre. Pour qu?il y ait articulation du sens, il faut qu?il y ait articulation de la mati?re porteuse de sens. |