Un objet total. Eglises en bois du Musée du Paysan Roumain
Horia Bernea
 
Entretien avec Anca Manolescu; Texte traduit par Ioan Pânzaru

Je ne sais si je me trompe en disant que votre mani?re de faire un musée revient ? un acte d?interprétation active de la tradition. Tradition, en ce sens qu?il s?agit d?un mode intégral et harmonieux de vivre dans l?atmosph?re du sacré, qui était propre des mondes anciens, et que le monde paysan perpétue jusqu?au seuil de notre temps. Vous percevez votre action comme un acte situé ? l?intérieur de la tradition, un acte ? travers lequel elle parvient ? s?exprimer, ? oeuvrer effectivement dans les conditions et avec les moyens de la culture actuelle?

Horia Bernea            Une sorte d?autocontrôle spécifique de l?intellectuel, qui remet sans cesse en cause ses convictions, ses décisions, ses options, a souvent fait que je me pose la question si je ne vois pas dans ces églises quelque chose de plus que ceux qui les ont faites, si je ne les perçois d?une façon plus substantielle et plus vive. Or, dans mes moments de sérénité, je me rends compte que c?est un faux probl?me. D?abord, je pourrais dire aussi bien que j?y vois autre chose qu?eux, mais non que j?y vois mieux, que j?y vois plus vrai. Ceux qui ont fait ces églises ne pouvaient pas ne pas avoir une expérience tr?s authentique de la tradition. Ils ont réussi l? o? des architectes modernes, pleins de talent, de génie parfois, ont échoué. On sait combien d?échecs se comptent parmi les tentatives modernes d?approcher l?espace sacré, d?en proposer de nouvelles variantes convaincantes. Il faut y songer avant de comprendre pourquoi il est si difficile de faire une église d?un type tr?s simple: une nef, avec pronaos et naos, allongée éventuellement d?un narthex ouvert. Cette succession spatiale, si claire et si simple, a posé des probl?mes presque insurmontables ? plusieurs grands architectes modernes. Faire, c?est-?-dire penser et réaliser, un espace sacré, est au fond un projet extr?mement exigeant, que l?on peut tr?s difficilement mener ? terme si l?on n?a pas soi-m?me un engagement spirituel profond, et certainement si l?on n?appartient pas au monde traditionnel. Un monde o? il n?y avait pas de rebuts, pas de surplus, pas de déchets.

Je pense que l?église est un objet total, surtout du point de vue d?un musée tel que le nôtre. C?est un objet qui au fond subsume toutes les catégories de la vie traditionnelle. C?est le sacré matérialisé grâce ? l?architecture, ? la peinture, ? la sculpture; voire grâce ? la collaboration avec un genius loci, ? travers l?emplacement qui est parfois éblouissant. Il y a plus que la situation élevée, sur les hauteurs, qui donnait ? ces églises un caract?re monumental surprenant; ou que le fait qu?elles exprimaient par leur situation l?idée de la domination du sacré sur le monde et en m?me temps l?idée d?un ?pôle? visible de partout. En plus de cette symbolique générale et évidente, il existe une poétique de leur emplacement dans le paysage, qui est incontestable. Les maîtres bâtisseurs d?églises, avec la communauté elle-m?me, nous semblent ?tre des architectes paysagistes raffinés, si l?on peut dire... Au fond, il s?agit d?hommes entiers, sans dédoublement.

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