Sur ce point, nous-m?mes devrions faire tr?s attention. M?me les interventions obligatoires et courantes risquent d?altérer l?objet. Lorsqu?on refait, par exemple, la toiture en bardeaux d?une église, il y a le risque que les ouvriers d?aujourd?hui en changent un peu la courbure, qu?ils emploient un autre matériel, moins raffiné et plus commode (des bardeaux plus larges, par exemple); ce ne sont plus les m?mes hommes, ils n?ont plus la m?me compréhension du matériel et de la matérialité expressive, dirais-je, qui était celle des hommes appartenant au monde traditionnel. Une restauration est au demeurant un acte violent - ou du moins elle peut l??tre, si on ne l?entreprend pas avec un souci infini et avec le soin de comprendre l??esprit? de l?objet. Les églises que nous avons laissées in situ représentent un expériment d?intervention minimale. Pas seulement par le genre de restauration, de traitement de l?objet en soi. Mais aussi parce que, en les maintenant sur leur ancien emplacement, nous avons conservé le lien qu?il y a entre édifice et paysage; nous ne tranchons pas ce lien, qui constitue selon moi une qualité essentielle de l?objet: sa relation avec le milieu, dont la logique vivante l?int?gre. Or, cet expériment est assez entravé, incommodé, par le fait que nous devons entretenir ces églises, en remplacer les parties abîmées, tout en cherchant ? ne pas modifier l?harmonie impondérable de l?objet. Ce qui pose de graves probl?mes de conservation: de conservation véritable, pas seulement physique. A.M. Mais le monde paysan avait au fond lui aussi ces probl?mes. Horia Bernea Oui, mais ils les abordaient du dedans. Ils étaient tout ? fait ? l?aise, ils étaient décontractés. Aujourd?hui encore, la désinvolture avec laquelle les paysans réparent leurs églises nous étonne: sans hésiter le moins du monde, ils appliquent des feuilles de tôle sur les échandoles, ils improvisent, et, dans la plupart des cas, la chose ?tient debout?, s?int?gre dans l?ensemble. Mais eux, ils traitent leur église comme un espace familier, avec lequel, dans lequel ils vivent. Ce que nous ne saurions nous permettre; nous sommes un musée et nous devons respecter les lois du musée. A.M. Comment avez-vous sélectionné ces églises en vue de leur acquisition par le musée? Horia Bernea Nous nous rappelons tous quel effort soutenu a exigé l?acquisition sur le terrain, quand il s?agissait d?enrichir nos collections; puis combien de sélections successives nous avons faites, pour déterminer quels seront les objets qui figureront dans chaque salle du musée, des objets qui en quelque sorte s?appelaient les uns les autres. Une sélection est, d?une certaine mani?re, un effort d??accordage?; il faut percevoir les rapports possibles qui se nouent entre les objets. Je l?ai déj? dit une autre fois: il faut avoir l?oreille fine pour écouter ce que dit l?objet et suivre ses suggestions. D?autre part, j?ai toujours eu conscience que le hasard, la surprise, la découverte jouent un rôle important dans le genre de muséologie que nous pratiquons. A.M. Vous le disiez déj? dans ?Le musée. Une opération de connaissance libre? (1996, pp. 194-210): ?Dieu aime ce qui est fragile, délicat, faible. Il n?aime pas ce qui est puissant, dur, rigide: par exemple la pierre. Que peut vouloir dire fragile quand il s?agit du discours d?un musée, d?un mode d?exposition? Souplesse, erreur et hasard assumés, incorporés dans la th?se de travail?[2]. |