Un objet total. Eglises en bois du Musée du Paysan Roumain
Horia Bernea
 
Entretien avec Anca Manolescu; Texte traduit par Ioan Pânzaru

Horia Bernea            Dans le choix des six églises a inévitablement joué cet hasard, qui se conjuguait en m?me temps avec certaines préoccupations que j?avais depuis fort longtemps, et qui ont préparé le projet de l?acquisition. Je connais tr?s bien et depuis bien longtemps la région des montagnes Apuseni; longtemps avant de devenir directeur de musée, j?avais vu et revu les églises de la contrée. J?avais vu nombre d?églises admirables, qui se trouvaient dans un état pitoyable, qui allaient disparaître, étaient condamnées. Et j?étais profondément affecté par le fait que tout ce patrimoine était oublié, qu?on le laissait dépérir; je me demandais pourquoi il ne se trouve personne qui en répare au moins le toit, pour au moins qu?il ne pleuve pas dedans. En tant que directeur de musée, j?ai donc puisé, pour choisir, dans un matériel qui m?était bien connu. Ce qui a compté, ç?a été la familiarité avec le pays (qui d?ailleurs est difficilement accessible, on l?a en quelque sorte ?oublié? lui-m?me), puis le fait que je connaissais personnellement les hiérarques de l?Eglise locale. Ce sont des hommes qui ont compris la valeur de notre geste, qui ne le consid?rent pas comme une ?dépossession? qui ravirait ? l?Eglise ses biens, mais au contraire comme un précieuse récupération. Maintenant on nous fait sans cesse des offres de vente d?églises. Or, ? cause du manque chronique des ressources, le musée n?a pu réaliser un de ses projets plus vastes: celui de mettre sur pied un réseau d?églises qui soient propriété du MPR, conservées in situ. Nous aurions souhaité acquérir, sinon des églises en bois de tous les types attestés, du moins des exemplaires provenant de toutes les régions. J?avais déj? identifié deux ou trois églises extraordinaires en Moldavie, quelques-unes en Vîlcea et dans le Nord de l?Olténie, dans le Nord de la Transylvanie et dans son centre - la zone de Cluj. Mais moi, j?espérais, je le rép?te, que notre geste fasse naître une émulation: tant parmi les institutions la?ques et m?me les grandes compagnies privées, que dans le milieu ecclésiastique et monacal.

Je suis persuadé qu?une collection substantielle d?églises conservées in situ pourrait devenir extr?mement importante et significative ? l?avenir. La fondation Alexandru Tzigara-Samurcaş a été créée spécialement pour soutenir ce projet qui devrait débuter par un inventaire des églises en bois de Roumanie. Nous essayons ainsi de doubler d?autres institutions, telle que la Commission des Monuments Historiques, qui elle-m?me, faute de moyens, ne peut faire face ? la situation du terrain. Il y a d?autre part des cas o? la communauté du village est elle-m?me disparue (je connais le cas de Tomnatec en Moldavie, mais il y en a sans doute de nombreux autres). A supposer m?me, par utopie, que nous disposerions des fonds nécessaires, et quand m?me la zone rurale en question connaîtrait un regain de vitalité (ce qui veut dire modernisation), elle n?aurait plus le m?me paysage, la m?me disposition que celle o? l?ancienne église trouvait sa place. Celle-ci est abandonnée m?me par son environnement. Il y a tant de ces églises - chacune un témoignage unique et irrépétable - qui sont ignorées, oubliées: situées dans des endroits difficiles d?acc?s, on ne peut les proposer au circuit culturel; d?autre part, elles ont perdu leur caract?re d?espace ecclésial vivant. Elles sont dans une sorte de limbes, de no man?s land. C?est tr?s étrange! On a affaire ? une grande masse d?objets non seulement menacés de disparition physique, mais encore obsol?tes quant ? la fonction. Ils sont restés suspendus quelque part entre le monde traditionnel, en voie de disparition, et le monde de la culture, qui n?a pas encore suffisamment réfléchi ? une redéfinition de leur statut.

Je ne cesse de penser, dans l?étonnement et dans l?angoisse, aux solutions possibles. L?une d?entre elles serait de proposer ? d?autres communautés (rurales ou urbaines) de s?en rendre maîtresses, en conférant ? l?objet un double statut: église en usage, mais qui néanmoins serait entretenue avec un souci culturel pour l?édifice; tel pourrait ?tre le cas des communautés de la diaspora. Celle de Gen?ve, par exemple, souhaitait y faire transporter une vieille église en bois afin d?avoir un espace de culte bien ? elle. Les Roumains qui vivent l?-bas ont fini par décider de bâtir une nouvelle église, ?traditionnelle?. Mais il aurait beaucoup mieux valu en reprendre une ancienne et authentique. Ce qui probablement aujourd?hui entraînerait des difficultés insurmontables, ? cause des rigueurs de la loi du patrimoine.

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