A.M. Récupérer veut dire, en ce sens, créer. Andrei Pleşu le disait d?ailleurs dans le titre m?me de sa contribution au catalogue de votre derni?re exposition de peinture. Alors, dans le musée, vous rencontrez au fond un th?me dominant qui est le vôtre en tant qu?artiste? Horia Bernea Certainement. L?idée de récupération inclut pour moi l?idée de revivre, de redécouvrir, de ?faire la part du commencement?, comme je l?ai dit. Or, faire du musée, faire un musée du paysan, c?est ?tre situé ? un endroit o? vous avez le privil?ge de récupérer et de rechercher ouvertement l?héritage traditionnel, sans dissimulation aucune, et en profitant d?un large horizon d?attente. Je ne suis plus contraint, comme dans ma peinture, d?extraire un aspect de cet héritage, une forme-archétype. Le vocabulaire des objets, la mati?re concr?te du monde paysan nous sont offerts dans le patrimoine, et ce qu?il nous reste ? réaliser, c?est une monstration expressive, une ?épiphanie? de ce monde et de l?objet. Lorsqu?on m?a offert la possibilité de faire ce musée, je me suis rendu compte qu?il pourrait constituer un double acte de récupération. Le premier, c?est celui dont je viens de parler. Le second concerne l?institution en elle-m?me. Le musée conçu par Alexandru Tzigara-Samurcaş, le Musée d?Art national - pour lequel il s?était battu pendant quarante ans, et dont il avait réalisé la section d?ethnographie selon une conception muséographique tr?s audacieuse, remarquée ? l?époque -, ce musée était oublié; il n?existait plus en tant qu?institution dans la conscience roumaine actuelle. Le régime communiste a dispersé ses collections, a repris ses locaux, a essayé d?annuler l?effort du fondateur. Or, nous tâchons de reprendre son projet, tout en créant une institution nouvelle. Si la Roumanie possédait plus d?institutions vraiment nouvelles, elle aurait depuis longtemps dépassé la phase de ?transition? dans laquelle nous traînons encore. Que veut dire, dans le cas d?un musée, une institution nouvelle? En premier lieu, redéfinir certains buts du musée. Et un certain style de travail. Au fond, j?ai d? moi-m?me clarifier mes idées, faire des essais, chercher un style de travail approprié au type de musée que nous voulons faire. J?ai renoncé ? un certain genre de déterminisme militant, si le mot n?est pas trop vague, qui a cours dans d?autres musées. On a un peu vogué avec l?esprit du temps. L?-dessus, il y a deux façons extr?mes de faire. Soit le style de direction strictement conjoncturel (illustrer par un grand nombre d?activités le th?me du musée, en suivant un calendrier culturel quasiment festif) , qui est tr?s commode: on ne suscite pas de critiques, on n?excite pas d?envies; on pare au plus pressé, sans que, par le type d?investigation, on sorte de soi-m?me, on s?expose et on prenne des risques. L?autre mod?le, c?est le projet de musée couché d?avance sur papier, le programme préétabli. Or, moi, je refuse les deux. J?aimerais que nous fassions honn?tement notre boulot et laisser au temps le soin de décider dans quelle mesure nos actes ont vraiment été efficaces, authentiques, utiles, générateurs d?espoir, ?édifiants?. Lorsque j?ai commencé ? faire du musée, j?étais un artiste dont la conscience était assez cristallisée, et par conséquent je risquais d?appliquer d?une façon trop directe les idées et les convictions que je m?étais formées au bout de tant d?années d?investigation. Je ne l?ai pas fait, tout au contraire je me suis de plus en plus laissé corriger par la réalité, par ce que les objets eux-m?mes me disaient, par la façon dont le parcours muséal venait ? prendre forme. Au fond, nous ne pouvons pas savoir avec une certitude sans ombre pourquoi nous faisons telle salle, tel th?me, nous ne pouvons pas savoir si l?idée actuelle du musée sera encore valide dans cent ans. Nous ne savons pas quelle influence a notre action sur le public, combien profonde est celle-ci. A chaque fois, la surprise a été grande: notre honn?teté a reçu une réponse, une compréhension inattendue, culminant par le prix EMYA (Prix ?Musée européen de l?année?) en 1996, décerné sous l?égide du Conseil de l?Europe. C?est encore une preuve, ? mes yeux, que l?art n?est pas aussi incommunicable qu?on l?a prétendu. Il n?y a rien de révolutionnaire dans ce que nous faisons. Ce qui est révolutionnaire, c?est que nous avons réussi ? rester normaux. |