Le rapport, l?alternance sont essentiels m?me pour ma façon de travailler. Apr?s 1989, j?ai vécu comme un manque dramatique le fait d?avoir perdu le temps consacré ? ?perdre du temps?. Ce qui, dans le cas d?un artiste, est en un sens la part la plus précieuse, la plus féconde de son activité. Ce sont les moments o? ses intuitions, ses th?mes ont le loisir de prendre naissance; un temps sans agenda, sans pressions, sans la panique de finaliser ? tout prix, quelle que soit la qualité du résultat. Quand on n?a plus ces intervalles bénéfiques, on arrive ? une sorte de vitesse, ? un état qui n?est pas du tout productif. Avant 1989 je disposais de ces loisirs et c?est ? cette époque-l? que je me suis construit. Ce qui n?est pas du tout le mérite du régime communiste, comme le ferait remarquer un nostalgique stupide. Parmi ces ?moments perdus?, il faut compter les séjours dans le Midi de la France ou en Angleterre, des mois entiers passés ? peindre, sans aucune autre obligation. Or, ? présent, je ne peux plus considérer que le temps m?appartient, espérer que dans un mois, dans cinq ans et jusqu?au terme de ma vie je serai maître de mon emploi du temps. C?est un état que j?ai perdu et que je veux récupérer. En 1987, en 1988 je me disais: je continuerai de travailler dans le Midi de la France, puis je devrai travailler en Gr?ce... Il ne s?agit pas d?un luxe, mais d?une exigence. Bien que j?aie partout peint les m?mes th?mes, mes th?mes - ?Collines?, ?Colonnes?, ?Jardins? - ce que j?ai fait ? Londres ne ressemble pas du tout ? ce que j?ai fait ? V`ratec ou ? ce que j?ai peint ? Beaubourg, dans le Midi de la France, ? Rome. A chaque fois on perçoit un autre état. S?il existe un acte culturel peut-?tre plus difficilement compréhensible, mais qui est pourtant profondément authentique, celui qui crée un homme véritablement normal et sain, c?est celui-ci: oeuvrer ensemble avec le génie du lieu, se laisser modeler par lui. Etudier ? Paris, travailler ? Paris, lire un livre ? Paris est tout autre chose que de le faire ? Constanţa. Pour un peintre, surtout, cette expérience multiple me semble essentielle. Il ne faut pas comprendre ce que je dis dans un sens trop épidermique. Travailler ŕ Paris, cela ne veut pas dire qu?on est inspiré par le café sympa, l?atmosph?re des marchés volants parisiens, les boutiques des libraires et les magasins de peinture, les galeries, les musées, la rue... Mais tout cela ensemble ?compose? l?endroit. Il importe aussi de s?arracher ? son milieu familier, de projeter sur celui-ci une perspective différente. Tous mes th?mes importants - qui sont au fond rattachés au monde traditionnel, paysan ou monastique - sont nés en France ou en Angleterre, et non pendant les séjours au monast?re de Varatec. Au monast?re j?ai peint, ce qui est le comble, des choses plus abstraites, les ?Banni?res? par exemple. Pourquoi j?insiste l?-dessus? C?est tout simplement pour dire: voil? un genre de vie culturelle saine. En travaillant de la sorte, j?ai obtenu d?une certaine mani?re, selon mes forces, une perspective globale sur la civilisation européenne: d?une façon bien plus profonde que si j?avais lu toute une biblioth?que ? ce sujet sans bouger de chez moi. |