Un objet total. Eglises en bois du Musée du Paysan Roumain
Horia Bernea
 
Entretien avec Anca Manolescu; Texte traduit par Ioan Pânzaru

?Faire la part du commencement?

Je suis un homme du visuel, ayant dans ce domaine une longue et assez riche expérience. Par conséquent, je ne travaille pas sous l?empire de la premi?re impression, j?ai une certaine objectivité, un certain détachement. Or, ceci étant dit, j?aimerais faire la remarque suivante. Il existe une vaste aire de l?Europe o? l?on a pratiqué l?architecture en bois, o? l?on a travaillé le bois, on a approché ce matériau, on l?a ?mis en oeuvre?. Et ceci pour des raisons qui ne tiennent pas toujours aux conditions géographiques, comme l?on aime souvent ? croire. On invoque par exemple l?absence de la pierre dans les régions qui ont une architecture élaborée en bois; ce qui, sur le terrain, ne se confirme point. Le recours ? ce matériel vient d?une raison bien plus subtile: cela tient, selon moi, ? un penchant ? travailler avec l?humble, le périssable, le fragile. Avec ce qui n?est pas ?endurci? comme la pierre; quand on travaille la pierre, on prétend réaliser quelque chose d?éternel, en tirer une image de l?éternité, dont on tente en quelque sorte de se rendre maître. Quand on travaille le bois, il faut toujours tout reprendre ? zéro, recommencer, ?faire la part du commencement?, selon le mot de Maxime le Confesseur. On laisse oeuvrer les commencements en soi-m?me. Or, il existe une mani?re d?attaquer le bois, qui est tr?s caractéristique de l?espace roumain; chose dont Brancusi a tr?s attentivement tenu compte lorsqu?il a fait les premi?res versions de sa ?Colonne?. Ce sont des tentatives de répéter le geste des gens de son village quand ils taillaient le bois pour en faire des églises. Il n?y a pas longtemps, j?ai vu une église pas loin de Tîrgu Jiu, qui était admirablement ?taillée?. Tout comme dans le cas des cél?bres tailleurs de diamants, il s?agit d?un métier parfaitement précis, mais surtout de la subtilité ? traiter de façon appropriée chaque esp?ce et chaque pi?ce de bois, comme on fait les pierres précieuses. Ce n?est pas un discours apologétique que je tiens ici, je ne fais pas de ?protochronisme?, mais il faut que je dise que, dans la plupart des zones ou des pays possédant une architecture vernaculaire en bois, le matériel est traité de façon inadéquate. Il ne faut pas attribuer la chose ? des traits innés; je pense que ces populations avaient surtout suivi un mod?le qui leur venait de la ville. Ils font en bois des choses dont le propre était d??tre fait en pierre ou en métal ou en céramique. Dans l?architecture nordique en bois, par exemple, il existe une profusion d?éléments gothiques. Ces éléments font leur apparition en Roumanie aussi, mais avec grande parcimonie: c?est le cas des fl?ches des églises du Nord du pays. Ensuite on rencontre des églises en Transylvanie qui ont des toitures baroques, mais couvertes d?échandoles, ce qui pourrait les rattacher vaguement ? des choses qui existent dans les pays environnants: Ukraine, Tchéquie, Slovaquie. Pour le reste, ce qui domine chez nous, c?est une science et une adéquation de la taille du bois, en parfaite convenance avec sa nature et sa matérialité. C?est cet aspect qui frappe, qui donne un état d?harmonie extraordinaire. M?me si l?église est un simple cube, un petit cube avec une abside au bout, elle est parfaite. On sent qu?elle a été taillée exactement selon l?esprit du bois, dans l?esprit de la fibre je dirais. On sent que ces gens-l? savaient exactement o? on peut couder le bois et o? il n?admet pas la courbure; quel type de surfaces il peut offrir, quel genre d?assemblages; tout autres que ceux que peut offrir le métal, par exemple. La ?convention? du matériel est respectée admirablement.

Pour moi, ?convention? veut dire la logique propre de telle spiritualité, de telle culture, de tel métier ou de tel matériel. La ?convention? veut dire pour moi ordre, logos des choses, sans lesquels il ne peut y avoir de style, pas de vie authentique.

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