Un objet total. Eglises en bois du Musée du Paysan Roumain
Horia Bernea
 
Entretien avec Anca Manolescu; Texte traduit par Ioan Pânzaru

Ne pas transgresser cette convention: voil? selon moi l?important, ce qu?il y a de plus caractéristique pour nous. Si nous pouvions voir comment les Grecs taillaient leurs solives pour les temples archa?ques, nous retrouverions sans doute un geste tr?s proche de celui des paysans bâtisseurs d?églises.

A. M.            Vous pensez donc que ces églises en bois donnent acc?s ? quelque chose ? la fois d?essentiel et de tr?s ancien, quelque chose d?originel?

Horia Bernea            On a affaire, je dirais, ? un fossile parfait. Et en m?me temps ? une survivance parfaite. Un exemple d?organicité, d?adéquation, d?harmonie dans le sens le plus rigoureux du mot. Car il y a aussi des harmonies au second degré: une toiture baroque en échandoles peut ?tre esthétiquement harmonieuse, quoique le matériel ne convienne gu?re ? cette forme tr?s élaborée.

A. M.            Chacune des trois solutions d?exposition des églises - in situ, dans la cour du musée et en salle - représente, me semble-t-il, une attitude interprétative distincte. Aucune des églises, et d?autant moins celles qui sont in situ, ne remplissent plus leur rôle d?espace liturgique et ne sont plus perçues comme avant par leurs communautés villageoises. Que signifie cette triple mani?re d?exposer?

Horia Bernea            Ces trois ?étapes? sont tr?s liées entre elles; d?un point de vue qualitatif, elles ne sont pas tr?s différentes. Je dirais que l?intervention la plus forte, du point de vue muséologique, est paradoxalement celle qui prend pour objet les églises conservées in situ: parce qu?on a changé leur statut, et ce changement de statut est d?autant plus frappant qu?il a eu lieu dans l?environnement m?me d?origine. (Je ne parle pas des interventions visibles, de la restauration de ces églises, qui est en cours.) Je dirais au contraire, que la ?carcasse? de l?église de Mintia, qui est exposée en salle, a subi l?intervention la plus faible: elle est présentée en tant que vestige, ce qu?elle était d?ailleurs lorsque notre musée l?a acquise.

Prendre en charge une église - transformée en pi?ce de musée - et l?offrir ainsi ? ses anciens propriétaires, c?est, au fond, une premi?re. Qui malheureusement n?a pas eu d?imitateurs. Nous espérions que notre geste pourrait donner envie ? d?autres institutions d?en faire autant. Ce serait une chance pour notre patrimoine, l?inauguration d?une attitude participative envers lui. Notre geste a une intention pédagogique évidente, mais nous avons espéré qu?il sera, en m?me temps, une solution pour récupérer la tradition dans le monde m?me du village. Plus adéquate, plus naturelle, plus faisable que la solution, populiste ? mon avis, proposée dans les années 60-70 par certains artistes, qui exhortaient les collectionneurs d?art paysan ? rendre les objets d?art ? leurs anciens propriétaires. Pourquoi faire? Pour qu?ils les cassent, pour qu?ils les jettent ? la décharge? Dans le cas de l?église, m?me abandonnée, le statut d?objet sacré est tr?s puissant; nous l?avons doublé d?un statut d?objet culturel, de musée. Or, ce double statut pourrait donner l?éveil aux habitants. Pourraient-ils chérir l?église? Non! Pas comme la chérissaient ceux qui l?avaient faite et qui s?en étaient servis. Il s?en faut de beaucoup. Mais on réinstaurera au moins une forme de respect. Du moins un respect civique. Ils sont conscients qu?elle est l?, ils se sont mis ? y conduire leurs invités, ils commencent ? la regarder comme une chose digne d?intér?t. Ils avaient oublié cela. Ils le réapprennent.

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