Un objet total. Eglises en bois du Musée du Paysan Roumain
Horia Bernea
 
Entretien avec Anca Manolescu; Texte traduit par Ioan Pânzaru

Une autre solution qui me semble, évidemment, plus naturelle et plus efficace, c?est la conservation in situ, accompagnée d?efforts pour éveiller l?attention de la communauté locale pour ce patrimoine. Il ne faut pas ?tre fataliste. La dégradation n?est pas un processus linéaire, il peut y avoir des redressements inattendus, au moins culturels. Au concert des fanfares paysannes organisé par le MPR j?ai eu une surprise: aux côtés des intellectuels entre deux âges, qui contemplaient le spectacle avec détachement, il y avait aussi quelques jeunes étudiants de conservatoire, qui s?enthousiasmaient, qui participaient. Il peut y avoir, de ce point de vue, des retours spectaculaires. Engendrés par le manque: telle génération, tel groupe d?âge se mettent ? chercher ce que leurs prédécesseurs avaient oublié ou ne possédaient plus. C?est, d?une certaine façon, l?idée qui nous a mobilisés pour faire le Musée du Paysan: nous pensions qu?il y aura un moment, dans quelques décennies, o? ce musée aura bien des choses ? dire ? un monde pour lequel la tradition, sous sa forme paysanne vivante, est devenue inaccessible. Aujourd?hui le musée n?est visité que par les enfants, les étudiants et les étrangers; les Roumains, dans leur grande majorité, sont trop assaillis par les soucis de la vie immédiate pour qu?il leur reste un quelconque appétit culturel. Mais je suis persuadé que de tels gestes culturels peuvent acquérir une énorme importance avec le temps; des gestes qui au début peuvent sembler risqués, utopiques.

M?me sur le terrain il peut y avoir des revirements de situation. L?une des églises acquises, celle de Groşii Noi, était dans un état lamentable. Elle me faisait simplement pitié; elle avait l?air d?un chien galeux; le plafond ne tenait qu?? la peinture. Qui plus est, elle se trouvait en dehors de tout itinéraire, ? un endroit o? personne ne passait, dans un bout oublié de village. Seul un passionné, ou un fou, y serait allé l?-bas pour la voir. Mais depuis peu on vient d?organiser par l? une énorme réserve de chasse, fréquentée surtout par les Allemands. Et tous les autocars avec leurs touristes passent maintenant par Groşii Noi et visitent la petite église. Qui sait quelle chance peuvent avoir nos églises!

Une poétique du fragment

A.M.            Puisque les détenteurs de la tradition (dans sa variante paysanne) ne la reconnaissent plus et ne la mettent plus en oeuvre, n?est-il pas légitime que les objets provenant de ce monde se changent en mati?re herméneutique pour l?intellectuel, pour le chercheur, pour celui qui fait un musée; qu?ils soient interprétés par celui-ci en toute liberté, de façon créatrice, voire novatrice, sans l?obsession de reconstituer l?objet?

Horia Bernea            Ce qui est le comble, comme je viens déj? de le dire, c?est que ce qui, dans un musée, apparaît comme un geste tr?s audacieux et novateur - celui d?exposer le squelette de l?église de Mintia - est en fait la façon de faire la plus naturelle et la plus commode. Nous nous sommes simplement abstenus de toute intervention; nous avons muséifié l?état m?me o? se trouvait l?église. Mais pour recourir ? cette solution, il faut d?abord ?tre persuadé qu?elle est expressive, découvrir l?avantage qu?elle présente par rapport aux autres. On a transformé le résultat d?un abandon en possibilité de lecture de l?espace ecclésial.

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