En premier lieu, j?ai souligné la distance entre l?abandon en soi (photos de l?église in situ) et la reprise consciente de son ?oeuvre?. L?aire de plancher peinte en blanc sur laquelle est posée l?église sugg?re un linceul qui contient, qui abrite un ?reste? tenace, qui ne veut pas mourir. Tout autour il y a l?inventaire liturgique que nous avons pu récupérer. La force du fragment est évidente ici; nous l?avons suggéré d?ailleurs sur tout le parcours muséal par les tables-présentoirs o? s?entassent en abondance des bouts de broderie, de tissus; c?est comme un rappel du vestige, de ce qui résiste et se communique d?un âge de la culture ? un autre. Il y a, selon moi, et nous avons discuté maintes fois entre nous l?-dessus, une véritable esthétique du fragment, du fragmentaire. Je ne pense pas que ce soit une attitude postmoderne. On parle beaucoup aujourd?hui de la tendance ? l?émiettement, d?un culte de la déconstruction. Or, dans notre cas, il ne s?agit pas d?un démontage de l?objet. C?est le contraire qui se produit. L?objet devient plus prégnant, plus évident dans ses fonctions symboliques; en ce qui concerne l?église de la salle ?Reliques?, l?ossature de l?objet, qui d?ordinaire est inapparente, devient visible, frappante; c?est comme un dévoilement de l?intérieur, comme un écorché. Ensuite, on peut voir avec quelle liberté on a bâti cette église: on voit les lignes tordues, les écarts réussis par rapport ? la symétrie. La nef rectangulaire se continue ? un bout par le choeur hexagonal, ? l?autre bout par un narthex pentagonal, et la forme qui en résulte est parfaitement harmonieuse. Ce qui est une victoire de la liberté. Celui qui ne comprend pas le prix de ces maladresses ne saisit pas un trait essentiel de l?art chrétien. Continuer ? dire qu?ils le faisaient par malhabileté, parce qu?ils étaient illettrés et n?avaient pas de m?tre, est ridicule. Ils pouvaient faire des choses parfaitement exactes lorsqu?ils en avaient envie. Mais nous avons ici affaire ? une autre attitude envers l?objet. Un attitude semblable ? celle des premiers chrétiens, qui traitaient l?objet, l?image, l?écriture avec une négligence étrange, en griffonnant, en les jetant comme en hâte sur leur support matériel. L?image paléochrétienne, a-t-on dit, semble ?tre faite par des gens hébétés, on dirait qu?ils avaient oublié l?expérience plastique raffinée des Romains. Ce qui est tout ? fait invraisemblable; il s?agit plutôt d?un état de commencement, o? la mati?re n?a pas besoin de formes trop élaborées pour capter la plénitude de l?esprit. Le fragment peut en dire plus long que le tout. Car l?attention que suscite le vestige, l?élément isolé et surtout l?objet en petite quantité est bien plus vive, plus fine, plus active que celle que peut éveiller un tout qui est déj? univoquement résolu, fermé, ?terminé?. Le fragment éveille une autre qualité d?attention, une attention qui coop?re avec tout ce qu?elle voit, qui construit ses propres développements ouverts en partant de ce noyau... L?esquisse, le squelette, l?ossature sont plus incitants, ils causent l?étonnement, l?interrogation; ça vous ébranle, ça vous achemine. Exposer, de propos délibéré, des fragments, représente un véritable changement d?attitude dans la compréhension de l?objet, voire du monde; les vertus du fragment ont leur mani?re spécifique de transmettre les messages!... |