L?initiation
Monica Pepine
 

Je ne veux pas que mon histoire ressemble ? un rapport de police? Quand il y eut le probl?me avec les mineurs en 90, je me suis dis que ça valait la peine de partir, ? cause de ce que j?apprenais des autres, quoique moi, personnellement, je ne sois pas affectée : personne ne m?a battu, je n?ai rien subit, mais l?état des choses était tellement mauvais, surtout pour ceux de mon entourage, que je me suis dit ? pourquoi pas ? ? Mes parents avaient des amis de famille en Suisse, ? Lausanne, qui m?appelaient tr?s souvent l?-bas. Ils ont une fille, de deux ans ma cadette et ils insistaient souvent pour que nous les visitions. C?était justement la période durant laquelle l?ambassade de Suisse a eu trois semaines de visas ouverts ; c?est ainsi qu?ils disaient, lorsqu?ils acceptaient les demandes de n?importe qui. Maman a vendu ? je ne sais pas exactement ? quelques bagues, en tout cas des bijoux de famille, pour acheter le grand billet d?avion aller-retour, ainsi en juin ?90, apr?s avoir ? peine fini le lycée et raté avec un étonnant succ?s l?entrée ? la fac de chimie, je partais en Suisse. L?-bas, ? Gen?ve, j?avais aussi mes parrains, avec lesquels mes grands-parents étaient en relation, mais avec lesquels, plus tard, je n?ai plus voulu avoir ? faire.

Et je suis bel et bien arrivée en Suisse, les amis de mes parents m?ont reçu ? l?aéroport et, en route vers la maison, nous nous sommes arr?tés ? une station service. Et bien, pour moi cette station service, qui ressemblait ? n?importe quelle Shell, Lukoil ou toutes de ce genre d?aujourd?hui, représentait tout d?un coup le paradis sur terre. Partout o? je suis allée d?s lors je ne me suis plus sentie comme dans cette station service, c?était comme si j?étais entrée dans la caverne d?Ali Baba. Il y avait de tout : chewing-gum, chocolat, bonbons dont je n?étais pas forcément folle, mais quand tu les vois, tous, tous, tous? Tu sais, colorés, emballés, tous merveilleux pour moi qui venais d?o? je venais, c?était quelque chose de fort, pas forcément un choque, mais en tout cas suffisamment pour ne plus jamais oublier cette station service.

Et je suis restée un laps de temps en tant que touriste ? Lausanne, promenée, dorlotée et tenue dans les bras jusqu?au moment o? la fille de ces amis, qui travaillait comme volontaire ? la Croix Rouge et qui avait oublié depuis longtemps notre roumain, m?a dit un jour ? viens toi aussi pour nous aider ! ? Sitôt dit, sitôt fait. Je suis devenue collaboratrice volontaire ? la Croix Rouge de Lausanne, c?est-?-dire interpr?te pour divers demandeurs d?asile politique de par l?-bas. Mais, entre temps, mes parrains m?ont convaincu d?aller ? Gen?ve o?, voyons, c?était la grande ville de Suisse ; et ils ont insistés, m?me si je n?avais aucune intention dans ce sens, pour demander l?asile politique. J?ai fait cela, comme une procédure purement technique, sans ?tre obligée de résider dans un camp de réfugiés mais en étant toutefois obligée de passer l?-bas quelques heures par jours. Parce que je ne supporte pas trop l?inactivité, j?ai commencé ? faire dans le camp ce que je croyais ?tre nécessaire. Comme on y mangeait aussi, j?ai commencé par laver la vaisselle sans que personne ne me le demande, purement et simplement parce que je crevais d?ennuie. Puis, je suis passée ? quelque chose de supérieur, c?est ? dire ? la préparation des cafés, je me rendais d?autant plus utile qu?ils m?ont demandé : ? Eh, ma fille, tu ne veux pas rester ici pour travailler avec nous ? ? Bien s?r que l?idée m?a enchanté, surtout parce qu?il s?agissait d?argent, et déj? la situation se compliquait ; je n?avais plus trop de motifs pour rentrer, puisqu?en définitif j?avais raté l?examen ? la fac et l?idée me souriait de prolonger ainsi mes vacances. J?ai accepté et, ? ma surprise, les Suisses m?ont m?me fait un contrat sérieux, pour une période non déterminée, enfin, tout dépendait de la durée de mes statuts de demandeur d?asile politique et de réfugié (mais j?ai renoncé ? ce dernier car je ne me sentais plus en droit de le demander). J?ai eu ici une belle expérience, je travaillais avec une foule de coll?gues, de toutes les nations possibles et de tous les continents, parce que c?est comme ça ? la Croix Rouge Internationale. Ainsi on atténuait la faute des Suisses (en réalité, la faute était la mienne), qui devenaient dégeulasses chaque fois qu?ils apprenaient que tu es quelqu?un d?autre qu?eux. Par exemple, moi j?ai appris le français d?s l?enfance, donc je savais parler, mais j?avais l?inévitable accent roumain avec les ? r ?. Quand j?ai vu que c?était un probl?me pour eux, je me suis dit : ? Et si j?allais ? l?école avec le peu d?argent que je gagne ? ? Parce qu?il y a l?-bas une école spéciale pour l?accent, dans le sens que, d?o? que tu viennes, si tu te forces un peu et que tu as un peu l?oreille musicale, tu réussis ? parler pile comme un français ou, enfin, m?me avec les particularités helvétiques et ainsi personne ne te remarque plus. Et avec toute ma furie j?ai réalisé cela pour ne pas me cacher derri?re mes paroles, parce que m?me les vendeuses du supermarché te jettent la monnaie lorsqu?elles t?entendent parler autrement qu?elles, tout est tr?s humiliant et frustrant. Quand ils me demandaient comment je m?appelle, je répondais Monica, ils disaient, ah Monica !? Mais avec l?accent sur la derni?re syllabe, peut ?tre italienne? Donc je n?étais pas découverte trop facilement. Quand ils me demandaient d?o? je venais et que je leur disais que je suis roumaine, alors la situation tournait mal, parce qu?ils changeaient brusquement de visage et ils se souvenaient subitement qu'ils devaient s?en aller. Ce n?est pas déplacé que de comparer leur réaction ? celle devant un pestiféré. Effectivement, si je leur avais dit : ? Voyez, j?ai la peste ?, ils auraient eu la m?me réaction que : ? Voyez, je suis roumaine ?. En tout cas, je ne crois pas que les Suisses voient la Roumanie forcément pire que, disons, la Bulgarie, la Hongrie, la Pologne, tu sais, tout le p?le-m?le de l?Est. Chaque fois que j?essayais de louer un appartement, on me disait au téléphone que j?avais tout ce qu?il fallait, y compris l?argent, enfin, tout, absolument tous les crit?res étaient remplis. Mais quand j?arrivais ? l?agence et que je disais : ? Voil? mon passeport, je veux tel ou tel appartement ?, absolument toutes les agences sans distinction, donc dans 99,9% des cas, me répondaient : ? Vous savez, il y a juste trente secondes que cet appartement ? été pris. ? Les choses étaient plus qu?évidentes, et finalement, j?ai fait appel ? un ami, un français, citoyen suisse, qui m?a ensuite aidé chaque fois que j?avais des probl?mes de ce genre et tout cela se faisait ? l?aide de son nom. Mais moi j?étais g?née de solliciter cet homme et de l?embarrasser tout le temps, en tout cas, je rép?te, c?était humiliant.

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