?Le lieu du voyageur?. L?itinérance spirituelle dans l?Est européen moderne
Anca Manolescu
 

Journal de voyage - été 1994

? Voil? pourquoi je n'aime pas le classicisme qui crée l?illusion d?une perfection dans le fini, tandis que la perfection ne saurait ?tre atteinte que dans l'infini. L?essor vers l'infini et l'éternel ne doit pas ?tre interrompu par l'illusion du fini parfait ? (N. Berdiaev, 1992, p. 47).

            J'ai lu cette phrase beaucoup plus tard, lorsqu'elle a conféré  de la prestance et de l'intelligence philosophique ? une atmosph?re qui était, pour moi, l'atmosph?re de l'Orient et des Balkans: une atmosph?re composée de ruines et de soleil, de vestiges et de lumi?re.

Mais, tout d'abord, j'ai été en Turquie, ? Istanbul.

            ? Le palais de Constantin Porphyrogén?te ?: des ruelles escarpées, tortueuses, emm?lées, modérément cahoteuses, ? immeubles de deux ou trois étages, un peu délabrés, au‑dessus desquels apparaît ça et l? une vieille maison, des éventaires débordant de fruits, de petits jardins et de petites places envahies par un plaisant désordre - un quartier calme et détendu, d'une pauvreté décontractée. Pour ce qui est du monument impérial mentionné dans le Guide du Routard, je n?en trouve pas la moindre trace. Enfin, une grille verrouillée semble l'indiquer. Au-del?, l'enceinte consiste dans un maidan (au sens roumain de terrain vague, non pas au sens original de meydane : place située devant un édifice sacré), un terrain vague pas tr?s grand, noyé dans des mauvaises herbes prosp?res. Je me demande ? quoi bon le verrou et je cherche avec étonnement les restes de ce ? palais admirable par la variété des édifices, la beauté des jardins qui les entouraient, des mosa?ques et des peintures qui décoraient les appartements? palais si vaste qu'il semblait une ville dans la ville ? (parce que, évidemment, j?étais en train de visiter déj? dans mon esprit les élégantes descriptions de Ch. Diehl[i]). Le seul  édifice visible c'est une petite maison ? moitié effondrée d'o? sort sans trop se hâter le ? curateur ? du lieu, ventru et en pantoufles. Plein d'amabilité (? Istanbul, les gens sont d'une impressionnante et conviviale sollicitude), il nous invite ?  nous asseoir sur le sofa défoncé, placé au milieu des mauvaises herbes, d'o? il surveille son objectif. Il apporte de sa petite maison quelques chaises de bureau, un peu déglinguées et écaillées. Heureusement, il les place de telle mani?re que je peux enfin voir le palais!

C'est un pan de mur rythmé par des arcatures en marbre rouge et blanc, un pan de mur dont l'élégance vous coupe le souffle.

Je récapitule les mauvaises herbes, la petite maison du gardien, le sofa au milieu du terrain vague, les cris des enfants qui jouent au football quelque part au-dessus de nous, je tire une bouffée d'air et je regarde encore une fois le palais des basileus. L?ensemble, enveloppé par une évanescence exempte de mélancolie, me semble tout simplement formidable. Comme il aurait été ennuyeux de visiter les innombrables édifices (avec les mosa?ques et les peintures de leurs appartements) qui composaient un palais vaste comme une ville dans la ville! Rien que d'y penser, cela me fatigue, en me faisant apprécier davantage la chaise que mon aimable hôte m'a offerte.

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