La fuite au-del? de moi-m?me
Tatiana Covor
 

De plus, jusqu?? présent, je n?ai vu écrit dans aucun journal qu?un Anglais aurait fuit en emportant avec lui des valises pleines de terre italienne?

En Occident, j?ai compris assez vite qu?on peut avancer plus rapidement, dans sa fonction et la rémunération, si on change souvent de travail. J?en suis ? ma septi?me entreprise et je n?ai dépendu ? aucun moment, du point de vue économique, de qui que ce soit.

Je peux dire, en étant s?r de ne pas ?tre contredite, que le chemin que j?ai parcouru, je l?ai parcouru toute seule. Personne ne m?a aidé. J?ai une chance : j?ai la patience d?étudier, pour apprendre ce que je ne sais pas. Et une qualité : je suis curieuse, donc disposée ? écouter longtemps ceux qui m?entourent pour comprendre les motifs des différents points de vue. Ou me convaincre de leur justesse. Quand je finis ces analyses, je prends une décision. Je peux tout au plus me tromper. Cela s?est déj? passé. Mes journées de travail n?ont jamais eu un programme. Je savais quand je commençais. Mais l?heure de la sortie était beaucoup plus incertaine?

Points positifs : je suis arrivée relativement loin par rapport ? mon point de départ. J?habite ? Rome. J?ai une maison ? moi. Je peux me permettre pas mal de choses. J?ai beaucoup de vrais amis.

Points négatifs : je n?ai pas eu assez de temps pour former une vraie famille. Je n?ai pas d?enfants. Quand je suis enrhumée, je paie quelqu?un pour passer ? la pharmacie pour m?acheter de l?aspirine : les amis sont trop éparpillés dans toute la ville, voir dans tout le pays, pour pouvoir leur demander une aide qui bouleversera leur routine identique ? la mienne : planifiée, renfermée, chronométrée.

L?Occident est une centrifugeuse dans laquelle, soit on tourne, soit on est expulsé vers les côtés.

Nous, tous les fugitifs, avons eu le m?me parcours positif. Mais j?ai vu se détériorer beaucoup de mariages mixtes faits dans l?idée ? attends que j?arrive en Italie apr?s quoi nous verrons? ? Nos filles avaient raison : en définitive, pourquoi pas ? C?était plus compliqué quand il y avait aussi des enfants, c?est-?-dire presque toujours. Il y a toute une génération d?enfants malheureux issus des couples unis par le hasard, l?inconscience ou l?ignorance. Rarement par sentiments.

J?ai connu plusieurs personnes qui ne pourront jamais s?adapter ? la forte sollicitation de la ? compétition ?, le fondement m?me de l?occident. Malheureux, déracinés, stressés, déséquilibrés, ils ne trouvent plus leur place nulle part : ni ici, ni chez eux. Un numéro de funambule psychique dangereux sur la corde du rideau de fer. En tout cas, chacun ? une histoire, un parcours, une réussite, un échec. En commun, nous avons tous des attaches que nous gardons en secret et qui nous lient en continu au ? pays ?. Qu?importe le nombre d?années de notre présence ici. D?habitude, tous ces chagrins se traduisent par des ? r?ves ? sans importance : une savarină? Un salami de Sibiu? Des ?ufs de carpe (? l?ognon !)? Des covrigi[4]de Buzău? Un ? vrai ? borch. Ou le son d?une vieille romance qui apporte Dieu sait quelle image de bonheur ou de douleur devant nos yeux fermés.

Différences? Ici le café se boit d?un trait, debout, au bar, et non pas paisiblement, avec la causette et le Taifas[5]incorporés. Les spaghettis s?enroulent instinctivement m?me autour de la fourchette d?un nouveau-né, ne se suce pas avec du bruit ni n?éclabousse de sauce tomate.

[4]Craquelins rond.

[5]Bavardage, causerie.

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